On le voit, s’agissant de la protection de la nature stricto sensu, les moyens d’intervention de l’État étaient limités au départ mais les gouvernements les renforcèrent tout au long de la période. En a-t-il été de même dans le champ de l’environnement industriel ?
En décembre 1952, à la faveur de conditions anticyclonique particulières, un brouillard acide intense et épais se répand sur Londres et s’y maintient durant plusieurs jours consécutifs, générant une surmortalité faisant plusieurs milliers de morts et de victimes. En cause : la pollution de l’air issue de la combustion du charbon des usines et du chauffage domestique.
En France, cette catastrophe poussera le gouvernement à installer une commission interministérielle pour l’étude de la pollution atmosphérique qui ne produira aucun résultat tangible. Face à cette situation de léthargie administrative, des militants engagés dans la lutte contre la pollution de l’air décidèrent de se mobiliser et fondèrent à cette fin en 1958, l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA). Ces attentions portées à la lutte contre cette pollution conduiront en 1961, en dépit de l’action énergique de l’APPA, à une adaptation timide de la loi Morizet de 1932 qui avait été la première loi à intégrer la notion de « pollution atmosphérique  ». En effet, en plein redémarrage industriel, les milieux politiques et patronaux craignaient que l’imposition de « contraintes  » - on ne disait pas encore « environnementales  » pour lutter contre les pollutions et nuisances des usines (raffineries, papeteries, aciéries, cimenteries, centrales thermiques…) ne viennent contrecarrer les efforts déployés à grands renforts d’investissements.
Le traumatisme engendré par la catastrophe qui survint le 4 janvier 1966 dans la raffinerie de Feyzin réveilla à nouveau les consciences, conduisant le gouvernement alors dirigé par Georges Pompidou à réformer le système de contrôle des établissements dangereux, insalubres ou incommodes datant de 1917 et à constituer une inspection des établissements classés aux pouvoirs renforcés, confiée au corps des ingénieurs des mines et parallèlement, créer un service de protection contre les nuisances industrielles au ministère de l’Industrie, ce qui n’a encore constitué qu’une étape vers une intégration plus forte et plus volontariste des préoccupations environnementales dans la sphère industrielle.
Mais c’est dans le domaine de la gestion de l’eau et de la lutte contre sa pollution que ce même gouvernement innova le plus en faisant adopter la loi sur l’eau du 16 décembre 1964 dont les chevilles ouvrières furent Ivan Chéret (1924-2020), surnommé le « père des agences de l’eau  », chargé du dossier de l’eau à la DATAR et Jean-François Saglio, un jeune ingénieur des mines en poste dans l’arrondissement minéralogique de Metz.
Afin de faire face à l’évolution de la démographie, au développement industriel et aux problèmes de pollution grandissants, la loi créa les conditions institutionnelles, financières et techniques d’une gestion globale et décentralisée de la ressource en eau. Elle instaura une logique de gestion par grands bassins hydrographiques (et non selon les limites administratives), s’inspirant de ce qui se pratiquait dans la Ruhr en Allemagne ; la création, dans chaque bassin, d’un comité pluri-acteurs chargé d’élaborer la politique de gestion de l’eau, et d’une agence financière chargée de percevoir une redevance sur les usages de l’eau et d’en réinvestir le produit dans la préservation et la gestion de la ressource préfigurant la définition du principe « pollueur-payeur  » qui sera adopté par l’OCDE en 1972 et intégré à la législation française par la loi « Barnier  » de 1995.