Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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Le mouvement Alpes de Lumière (1953)

Le mouvement Alpes de Lumière (association loi 1901) est créé le 23 mai 1953 à Simiane-La-Rotonde (Basses-Alpes puis Alpes de Haute-Provence), par une douzaine de notables des pays d’Apt et de Forcalquier. La figure de proue et le théoricien de ce mouvement est l’abbé Pierre Martel (1923-2001), qui durant quinze ans accueille le siège associatif à ses domiciles de Simiane, de Mane, puis de Bonnechère (St-Michel-L’Observatoire).

« Du savant au berger »

Le mouvement se donne pour objectif de contribuer à la revitalisation de la région située entre la Durance et les montagnes de Lure, du Lubéron et du Ventoux, par l’inventaire et la mise en valeur de ses « richesses culturelles », parmi lesquelles figurent les témoins de l’occupation humaine (archéologiques ou architecturaux) mais aussi la faune, la flore et les minéraux. Entre valorisation des traditions régionales et réflexion sur les possibilités de revitalisation économique, Alpes de Lumière est dans ses premières années un réseau d’érudits, qui cultive l’idéal de la transversalité et de l’égalité des savoirs, « du savant au berger », et tente de favoriser toutes les initiatives en matière d’éducation populaire et d’animation rurale.

À la fin des années cinquante, Alpes de Lumière, grâce à son vice-président Guy Madiot (fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, qui réalise pendant une trentaine d’années un énorme travail de soutien aux associations d’éducation populaire, en France et en Europe), est agréée comme association de chantier de travail volontaire au sein de la fédération Cotravaux.

Un « grand parc de Haute-Provence » pour réanimer l’espace rural

Sous l’impulsion de l’abbé Martel, le mouvement anime également une réflexion sur l’aménagement du territoire dans une orientation humaniste et spirituelle. L’idée d’un « grand parc de Haute-Provence, formulée à la fin des années 1950, s’inscrit dans cette réflexion. Pierre Martel puise son inspiration auprès de personnalités diverses, qu’il séduit par son charisme et son énergie et qui procurent en retour au mouvement associatif une certaine renommée nationale et des moyens financiers. Citons seulement : Jean-Marius Gatheron, inspecteur général de l’Agriculture, Eugène Claudius-Petit, ancien ministre, Georges Meyer-Heine, directeur régional de l’Urbanisme, Jean Villot, responsable des comités régionaux d’aménagement, ou encore les philosophes Gustave Thibon avec lequel Pierre Martel a tissé des liens d’amitiés dès 1946 et Denis de Rougemont, promoteur du fédéralisme européen. Très vite, avec 2 000 adhérents revendiqués en 1959 (chiffre qui déclinera par la suite), Alpes de Lumière fait « modèle » dans le sud de la France dans la manière de poser, au niveau local, les problèmes de la réanimation rurale.

Dans les années 1960, le mouvement connaît les transformations structurelles et les bouleversements de l’ensemble du secteur associatif : crise du bénévolat, tendance à la professionnalisation des militants, dépendance vis-à-vis des subventions publiques, mais aussi conflits générationnels entre les « pères fondateurs » et les jeunes militants souvent politisés. Pour toutes ces raisons, l’entreprise majeure du mouvement durant cette décennie, la restauration à St-Michel-L’Observatoire d’une ancienne usine de soufre – avec le financement du Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports – et sa transformation en centre culturel « autogéré » par les jeunes permanents et bénévoles, est un échec. De nombreuses réalisations ont cependant été effectuées, qui visent à faire reconnaître Alpes de Lumière comme un référent incontournable en matière de production des savoirs locaux, de mise en valeur des ressources régionales et d’animation culturelle. À partir de 1968, plusieurs chantiers d’étude portant sur des aspects du patrimoine rural sont financés par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar). L’activité éditoriale se développe également, le bulletin associatif édité à partir de 1954 étant transformé en revue thématique à vocation encyclopédique sur la Haute-Provence.

Le « musée de Salagon »

Le centre culturel de Biabaux est vendu en 1973 et l’association, recentrée autour de Pierre Martel (devenu secrétaire général et directeur) et de quelques-uns de ses proches (dont son épouse Claude), s’installe à Forcalquier. Outre ses activités premières (initiation à la nature, balisage de sentiers de randonnée, inventaire du patrimoine naturel et culturel), l’association assume désormais des fonctions d’expertise dans les domaines du patrimoine et de l’environnement. À partir de la fin des années 1970, elle réalise une série d’enquêtes ethnographiques qui donnent lieu à des expositions et des publications. C’est alors que la municipalité de Forcalquier demande à Pierre Martel de concevoir un musée régional « dans un bâtiment ancien et d’une belle architecture ». Le lieu choisi est un ancien prieuré bénédictin transformé en exploitation agricole, dont la chapelle avait été restaurée par le mouvement dans les années 1950. Le Musée-conservatoire ethnologique de Haute-Provence (dit « musée de Salagon », commune de Mane) est inauguré en 1980, sa gestion étant attribuée à l’association Alpes de Lumière pour 25 ans. Pierre Coste en est le premier directeur, tandis que la définition des objectifs muséographiques est confiée à un comité composé d’universitaires, et de muséographes et de scientifiques du Cnrs, dont l’archéologue Guy Barruol, qui préside Alpes de Lumière de 1978 à 1991. À la fin des années 1980, Danielle Musset, ethnologue de formation, est nommée à la fonction de conservatrice. Aujourd’hui géré par le Conseil général, le musée est réputé pour ses activités de recherche et d’animation dans le domaine de l’ethnobotanique, en particulier ses jardins, créés dans les années 1980 par Pierre Lieutaghi.

Et toujours une passion pour l’éducation au patrimoine et à l’environnement

Dans les années 1980 et 1990, les activités menées par Alpes de Lumière se déroulent principalement dans le cadre du Musée, dont le lieu est fortement investi par les bénévoles et exerce une forte attraction sur les habitants et les visiteurs. Puis l’association s’éloigne progressivement de Salagon pour s’installer dans de nouveaux locaux à Mane et tenter de renouer avec un travail de terrain plus large. Employant, sous la direction de Christiane Carle, plus d’une dizaine de permanents salariés au début des années 2000, l’association s’est professionnalisée. Aujourd’hui située dans le centre ancien de Forcalquier, elle poursuit ses activités dans les domaines de l’éducation au patrimoine et à l’environnement, de l’animation culturelle, de la restauration du petit patrimoine bâti et de l’édition (la revue, en particulier sous la responsabilité de Pierre Coste et de Guy Barruol, est devenue une référence en matière de publication régionale). Son président depuis 1995 est Jean-Claude Bouvier, ethnolinguiste, ancien président de l’université de Provence.

Cf. K.-L. Basset, Pierre Martel et le mouvement Alpes de Lumière (1953-1983). L’invention d’un territoire, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2009.


Par Karine-Larissa Basset
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