Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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RICHARD Pierre (1918-1968)

Pierre Richard est né à Angers le 18 juillet 1918 et a grandi à Paris, où il a fait ses études au lycée Montaigne. Son père, André Richard, professeur d’éducation physique reconnu, a ouvert au Champ-de-Mars à Paris la première salle en France de rééducation et de culture physique. Il a pratiqué également la rééducation respiratoire au Mont-Dore. Il est assisté dans son activité professionnelle par son épouse Mariette. Pierre Richard a donc évolué durant les vingt premières années de son existence dans un milieu médical, scientifique et hygiéniste. Ses études de médecine sont interrompues par la guerre et l’occupation allemande. Ses parents se réfugient à Aix-en-Provence, tandis qu’il découvre les Cévennes en devenant instructeur d’un chantier de jeunesse sur l’Aigoual (il s’agit de reconstruire les anciens baraquements de mine de Villemagne). Cette expérience de vie en communauté et en pleine nature le marque fortement. Il y rencontre notamment Henri Soulerin, un garde-chasse originaire des Vans, érudit autodidacte, qui deviendra l’un de ses plus fidèles compagnons.

Après une dernière année d’étude à Marseille et son mariage à Aix-en-Provence, Pierre Richard se réfugie en 1942 à Saint-Junien (Limousin) dans la famille de son épouse. Il assiste au massacre d’Oradour-sur-Glane et, selon les témoignages familiaux, entre au service de la Résistance. En décembre 1945, il soutient sa thèse à Paris sur Le Rôle social d’un médecin de campagne. En 1946, le docteur Richard installe son premier cabinet à Saint-Céré, dans le Lot. Il y crée une association de jeunes, tournée vers le social et la nature, participe à la formation d’une équipe Économie et Humanisme qui effectue des enquêtes sociales sur le canton, organise un hôpital rural. Le docteur Soubiran s’inspire de son expérience et de sa thèse pour écrire le troisième tome de son roman à succès Les Hommes en blanc (1949), qu’il dédicace ainsi : « Au docteur Richard, de Saint-Céré, et à tous mes camarades d’origine citadine, qui ont voulu devenir médecins de campagne, refaire une élite rurale et sauver les “vertes vallées”. » (Les Hommes en blanc, tome III, Le Grand Métier, journal d’un médecin de campagne, Paris, SEGEP, 1951.)

À Saint-Céré, Pierre Richard fait une rencontre décisive avec un directeur de lycée également originaire des Vans, qui lui fait découvrir Thines, un village quasi abandonné des Cévennes vivaraises. Pris de passion pour ce pays, Pierre Richard, déjà père de cinq enfants, s’installe aux Vans en 1951, en formulant le vœu de s’établir un jour sur l’éperon rocheux de Thines pour y mener une vie détachée, dans le dénuement et l’inconfort matériel. Aux Vans, Pierre Richard, en sus de son activité de médecin, donne libre cours à ses passions pour la préhistoire (il se lance dans un inventaire des mégalithes de la région), l’ethnologie (il se passionne pour la culture matérielle rurale) et l’économie sociale (il participe aux travaux de la Fédération française d’économie montagnarde). Il s’engage par ailleurs activement dans des groupements dédiés à la protection et à la valorisation des paysages et au développement rural, comme la Commission des sites de l’Ardèche et le Comité de rénovation des Cévennes.

Avec une poignée de chercheurs professionnels ou amateurs, passionnés du « pays » (dont son « alter ego » Jean Pellet, médecin généraliste à Génolhac, dans le Gard), il forme en 1955 un groupement informel dont les membres se désignent sous le nom des Amis des sources. Cette équipe œuvre pour la protection de sites tels que le Mas de la Barque (sur le mont Lozère), Malons, La Borne, Thines, La Claysse et le bois de Païolive, dont le spéléologue Edouard-Alfred Martel avait réclamé la protection intégrale dès le début du 20e siècle. À la fin de l’année 1956, en réaction à un projet EDF d’aménagement hydroélectrique, les Amis des sources se réunissent à Villefort pour définir une « charte » d’action commune, dont Pierre Richard est le principal rédacteur. Il s’agit de construire une alternative aux trois conceptions de l’aménagement régional qui ont alors cours, basées respectivement sur le développement industriel, le développement touristique et la protection de la nature et des modes de vie. En coordonnant ces conceptions à partir de leurs « points de rencontre », on pourra « réaliser sur une région particulièrement intéressante, un exemple d’aménagement humain respectant les principes essentiels d’une économie humaine » (Protection de la nature dans les Cévennes-Gévaudan, document ronéotypé, décembre 1956). Telles sont les bases d’un projet de « Parc national des Cévennes », que Constant Vago, biologiste du Cnrs, fondateur du centre de cytopathologie à Saint-Christol-les-Alès, se charge de présenter aux professeurs Roger Heim et Kumholtz-Lordat du Museum national d’Histoire naturelle.

Dans le même temps, Pierre Richard et les Amis des sources rencontrent les membres d’une association nouvellement formée autour d’un avoué exerçant à Florac, Charles Bieau, qui milite pour la création d’un parc national en basse Lozère, dans la partie orientale des Cévennes. Les deux groupes fusionnent en avril 1957 au sein de l’Association pour un parc national culturel des Cévennes (APNCC) et rédigent une brochure de présentation du projet (publiée en 1958). Pierre Richard consacre dès lors beaucoup de temps et d’énergie à défendre le projet, aussi bien à Paris, auprès de différentes personnalités (hauts fonctionnaires, scientifiques…) qu’en Ardèche. En octobre 1957, il représente l’APNCC lors de la réunion organisée à l’initiative de Gilbert André à la préfecture de Lyon, pour poser les bases d’une Association des Parcs de France. Il rédige plusieurs articles sur le « Parc culturel des Cévennes » dans les publications des chambres d’Agriculture, de la profession médicale et des milieux naturalistes (dont la revue de la SNPN, en 1963). En 1960, Pierre Richard propose à l’APNCC la création d’une revue consacrée aux « problèmes sociaux, culturels et scientifiques » à l’intérieur du parc des Cévennes. Le numéro 1 de Font Vive paraît en mai 1960, avec des articles rédigés essentiellement par des proches du docteur Richard : Pierre Ducos (ethnozoologue du CNRS), Michel Quiminal (avocat et homme de culture), Jean-Marius Gatheron (Inspecteur général de l’Agriculture), André Marti (spéléologue), E. Michel-Durand (professeur à la Sorbonne), J. Balazuc (naturaliste). A la fin de l’année 1961, emmenés par Pierre Richard et Jean Pellet, les militants de la partie orientale des Cévennes, en désaccord avec la conception d’un « parc forestier » défendue par Charles Bieau, fondent leur propre association également dénommée Font Vive. Pierre Richard « récupère » alors la revue du même nom, qui publie sous sa direction onze numéros jusqu’en 1966. L’association Font Vive, créée sur le modèle de l’association Alpes de Lumière fondée par l’abbé Pierre Martel dans les Alpes de Haute-Provence, se donne pour objectif de défendre une conception singulière des parcs nationaux comme outil d’aménagement régional « humain », à rebours de la réglementation des parcs nationaux édictées en octobre 1961, perçue comme trop répressive et peu adaptée à des espaces habités. Elle défend cette conception à travers un travail de terrain concret : micro-aménagements, animation culturelle, action éducative, protection et mise en valeur des sites et du patrimoine rural (dont l’élaboration de projets préfigurant les « écomusées »), etc.

En 1966, Pierre Richard, mis en minorité au sein de l’association dont les militants ont été renouvelés, démissionne des instances dirigeantes de Font Vive. À partir de 1967, il participe autant qu’il le peut, à titre personnel, aux travaux préparatoires à la mise en place du Parc national des Cévennes, en présidant notamment une commission de réflexion sur la « protection des sites et monuments du Parc national des Cévennes ». Il n’aura malheureusement pas le temps de voir son rêve se concrétiser : il meurt d’une maladie éprouvante en novembre 1968, à l’âge de 50 ans, laissant une famille de neuf enfants.

Pierre Richard a été surtout reconnu pour son dévouement inlassable de médecin « apôtre des campagnes ». Après le livre d’André Soubiran, il est le modèle d’un film de propagande ruraliste du ministère de l’Agriculture intitulé Nuit blanche (en 1959) et il est décoré de l’ordre national du Mérite agricole. L’engagement social de Pierre Richard n’est pas dissociable d’une vie spirituelle profonde, ancrée dans un christianisme œcuménique, qui lui a fait fréquenter des personnalités aussi diverses que le philosophe paysan catholique Gustave Thibon, le fondateur des communautés de l’Arche Joseph Lanza del Vasto ou le pasteur Paul Bastian, président de la Xe région de l’Eglise Réformée de France. Toute la démarche et l’œuvre de Pierre Richard s’articulent autour de ces trois plans : le social, le rapport des hommes à la nature et aux lieux (qu’il exprime à travers la notion de « symbiose »), le spirituel. Le docteur Richard a relativement peu publié, mais beaucoup écrit. D’innombrables feuillets de ses ordonnances vierges sont emplis de notes sur les sujets variés de ses recherches, et plus encore de réflexions sur les sujets qui lui tiennent à cœur : le Parc des Cévennes, en premier lieu, mais aussi, par exemple, le problème de l’eau et de sa maîtrise qu’il tient pour central dans l’avenir de l’humanité. S’il a entrepris tardivement (à partir de 1965) une licence de Lettres et de Sciences humaines, Pierre Richard n’était ni un homme de science à proprement parler (il approfondissait peu ses sujets), ni un homme de cabinet, mais davantage un homme de terrain. Il aimait « arpenter », indissociablement médecin et observateur des lieux, qu’il photographiait sous toutes leurs facettes. Un fort témoignage de son attachement aux Cévennes est l’attention qu’il portait, à la veille de sa mort, à la publication sous la bannière des éditions Racines d’Oc, qu’il venait de créer, de la traduction par Gilbert Lhomme du fameux Voyage à travers les Cévennes de Stevenson.

Homme d’une exigence personnelle et d’une intégrité totales dans ses engagements et ses idéaux – au risque d’une certaine rigidité –, Pierre Richard était surtout un bâtisseur d’utopies, dont la parole puissante fut reçue comme « prophétique » par ceux qui l’ont approché. Certains militants écologistes, comme Pierre Rabhi dont il a facilité l’installation en Ardèche, ont été fortement inspirés par le docteur Richard. Ce dernier a poursuivi un idéal communautaire auquel il n’a cessé de vouloir donner corps, à partir des cercles d’amitiés qu’il constituait autour de lui. Le Parc culturel des Cévennes en représentait certainement l’aboutissement à large échelle : l’utopie réalisée d’une vie rurale rénovée, sous la conduite d’une poignée d’hommes inspirés.

Sources : série d’entretiens avec Mmes Anne-Marie et Sylvie Richard, ainsi qu’avec quelques-uns des anciens « Amis des sources » et membres de Font Vive (en 2005 et de 2008 à 2010), archives personnelles de Pierre Richard, archives de l’APNCC, archives de l’association Font Vive.


Par Karine-Larissa Basset
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