Comme il a été souligné au commencement de cet article, les connaissances sur les milieux naturels, la faune et la flore étaient fragmentaires et empiriques, ce qui amenait à porter au coup par coup des jugements sur les risques que les projets d’équipement pouvaient faire encourir aux richesses naturelles. L’équipe en charge de la protection de la nature au ministère de l’Agriculture ressentit le besoin de disposer de plus d’informations pour être plus efficace. Cette préoccupation était partagée par le Conseil National de la Protection de la Nature [1]. Celui-ci demanda en 1968 à la sous -direction de l’Espace Naturel de rassembler les données disponibles. À cette fin, par une circulaire du 21 avril 1969, les ministres de l’Agriculture et des Affaires culturelles demandèrent aux préfets de conduire un « pré-inventaire des sites et richesses naturelles de la France  » en faisant renseigner des fiches élaborées par le Muséum National d’Histoire Naturelle. Devant l’urgence, instruction leur était donnée de recenser en priorité et rapidement les sites les plus remarquables afin de pouvoir parer à leur destruction.
Au mois de septembre 1968, alors que la France venait de connaître les événements de Mai 68, elle accueillit à Paris, à l’UNESCO, la conférence sur la biosphère. Le rapport présenté par la délégation française annonçait, pour la première fois, qu’un texte de portée générale sur la protection de la nature était en préparation dans les services du ministère de l’Agriculture. Il s’agissait d’un premier projet de protection juridique du patrimoine naturel français. Élaboré par la sous-direction de l’Espace Naturel, le texte, un décret, prévoyait entre autres dispositions de donner la possibilité aux préfets d’établir par arrêté des listes d’espèces végétales et animales et des minéraux à protéger dans leur département. Ce texte fit l’objet d’un examen approfondi par le Conseil d’État, au terme duquel il conclut qu’il fallait en passer par la voie législative, mais aucune suite ne lui fut donnée à ce moment-là .
Après l’électrochoc qu’avait constitué « l’affaire de la Vanoise  », l’attention portée par le président de la République et le gouvernement aux questions environnementales s’intensifia et les choses s’accélérèrent. À l’instigation de Serge Antoine, alors chargé de mission à la DATAR et de quelques autres fonctionnaires, dont Alain Bacquet, Philippe Saint-Marc [2] et Yves Bétolaud [3], d’experts et militants, tels Christian Garnier, issus du Centre interdisciplinaire de socio-écologie, un laboratoire d’idées mis à contribution pour l’occasion, une réflexion fut engagée pour élaborer un programme global d’action sur l’environnement.
À la suite de cette initiative qui fut portée à la connaissance du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas (1915-2000), celui-ci écrivit le 24 octobre 1969 à quatorze de ses ministres pour leur demander de lui proposer « un programme d’action propre à assurer une maîtrise plus grande de l’environnement, par les moyens, notamment, de la lutte contre les nuisances, de la réduction du bruit, de l’élimination des déchets, de la sauvegarde des sites et des paysages, de la protection des grands espaces naturels  ». Il demandait au ministre délégué chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire, André Bettencourt (1919 - 2007) d’impulser ce projet et d’en charger la DATAR. Celle-ci anima un groupe de travail interministériel pour finaliser le programme en relation avec Louis Armand (1905-1971) [4], académicien, polytechnicien, ingénieur des mines et ancien directeur général de la SNCF de 1949 à 1959, un « remueur d’idées  », à qui le Premier ministre avait parallèlement demandé de conduire une réflexion sur l’évolution à long terme des techniques et de la société.
[2] Voir fonds d’archives "Philippe Saint-Marc" conservé aux Centre interdisciplinaire de recherches en écologie