Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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CARLIER Jean (1922-2011)

Jean Carlier est né le 24 mai 1922 à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme). Son père, Aimé Bassin, était représentant de commerce. Après des études au lycée Jean-Baptiste-Say à Paris, il entre à l’École normale d’Auteuil et devient enseignant. Il quitte rapidement cette profession pour commencer une nouvelle carrière dans la presse, d’abord comme caricaturiste et dessinateur, puis comme journaliste. Il entre au Populaire puis à Combat et enfin à RTL en 1955, radio qu’il ne quittera qu’en 1982. Il y est rédacteur en chef en 1960, directeur-adjoint puis directeur du service des informations de 1967 à 1982. En 1971, il se marie en troisièmes noces avec Jeanne-Charlotte Monod-Broca, médecin et cousine de Théodore Monod dont il a trois enfants, Sylvie, Agnès et François, auxquels s’ajoute un enfant d’un premier mariage, Claude.

À partir des années soixante, par son activité journalistique et ses engagements associatifs, il n’a de cesse de promouvoir une approche globale de la protection de l’environnement, enrichie des apports de l’écologie scientifique, mais aussi intimement liée à un émerveillement devant le spectacle de la nature.

De la sensibilisation à la nature à la bataille de la Vanoise


Adolescent, Jean Carlier adhère à l’association des Amis du Muséum National d‘Histoire Naturelle au sein de laquelle il est sensibilisé à la nature et aux enjeux de conservation. Mais son engagement en faveur de la protection de la nature date des années soixante. Il s’agit d’abord d’un cheminement personnel ; en 1960, il commence à pratiquer le tourisme équestre qu’il conçoit à la fois comme une découverte sensible de la nature et comme un acte militant : voyager à cheval, c’est refuser le règne de la voiture et l’impact de la construction des routes sur les paysages. Très vite, il adhère à l’association nationale du tourisme équestre et devient membre de son conseil d’administration. De fait, l’appartenance à une multitude d’associations est une constante de l’engagement écologique de Jean Carlier.

C’est également dans les années soixante que ses fonctions à RTL lui donnent l’opportunité de voyager, notamment aux États-Unis où il observe, à cette époque, la montée d’une sensibilité nouvelle de l’opinion et des pouvoirs publics aux problèmes d’environnement. Pour Jean Carlier, qui a adhéré en 1948 au mouvement des citoyens du monde de Garry Davis, la conscience de la globalité des problèmes environnementaux est fondamentale.

En 1969, il rejoint l’association des Journalistes et Écrivains pour la Protection de la Nature (AJEPN) fondée par Pierre Pellerin (de Bêtes et Nature), André Mars-Vallet (L’Humanité) ou encore Antoine Reille. Il contribue à y diffuser une approche plus engagée des problèmes environnementaux dans une association qu’il considère à l’origine comme composée essentiellement de naturalistes. Il refuse notamment de réduire l’écologie à « la défense des petites fleurs » pour promouvoir une vision plus globale, incluant notamment la médecine et les questions industrielles.

Lorsqu’éclate en 1969 l’affaire de la Vanoise, alors que l’intégrité du parc est menacée par un projet de station de ski, l’AJEPN devient l’un des fers de lance de la contestation. De concert avec la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN), aux côtés d’autres journalistes, Jean Carlier profite de sa position à RTL pour diffuser la pétition appelant à la défense du parc et plus généralement toutes les informations contribuant à repousser ce projet. Son engagement écologique se traduit moins par des activités sur le terrain que par l’utilisation de sa position privilégiée dans les médias. Le 16 juin 1971, le conseil d’administration décide de respecter les limites du parc. De ce succès du mouvement écologique naissant, Jean Carlier tire un livre, Vanoise, victoire pour demain, paru en 1972 où il entend démontrer que cet événement est déterminant pour l’avenir des parcs nationaux et du courant écologique en général. À l’orée des années soixante-dix, l’engagement de Jean Carlier et ses fonctions éminentes à RTL en font l’un des animateurs du mouvement écologique.

Les années soixante-dix, entre engagements associatifs et incursions en politique

Impressionnés par la démarche d’Écologie et Survie, qui présente lors d’une législative partielle en Alsace un premier candidat écologique, Henri Jenn, les membres de l’AJEPN, en 1973, demandent à Jean Carlier d’organiser une rencontre-débat avec les représentants des différents partis politiques pour connaître leurs propositions en matière d’environnement et de protection de la nature. Neuf partis politiques sont représentés et, selon Jean Carlier, les réponses apportées sont loin d’avoir été convaincantes : « ça a été lamentable, sauf pour un ou deux exemples, des centristes plutôt ». Selon lui, beaucoup de membres de l’AJEPN ont alors réalisé que les hommes politiques n’avaient pas conscience des problèmes environnementaux et n’avaient pas le temps de s’informer sur ces questions complexes.

Pourtant, en cette fin d’année 1973, les personnes informées savent que le Président de la République, Georges Pompidou, est gravement malade et qu’une élection présidentielle anticipée est probable. Ainsi, lors d’une réunion de l’AJEPN le 3 décembre 1973, Jean Carlier, soulignant l’impréparation des partis politiques sur les problèmes d’environnement, émet l’idée de présenter un candidat à l’élection présidentielle qui se profile. Selon lui, les réactions sont plutôt positives sans que rien de concret ne soit décidé. Peu de temps après, l’association des Amis de la Terre, ayant entendu parler du projet de Jean Carlier, propose de s’y associer. L’affaire semble lancée, reste à trouver un candidat.

Le choix est difficile, il faut une personne à la fois reconnue dans le mouvement, crédible et, si possible, pas totalement inconnu des Français. Trois personnes sont approchées par Jean Carlier, qui tire parti de ses nombreuses relations : Théodore Monod, Philippe Saint-Marc, Christian Huglo. Tous trois refusent. Ce sont finalement les Amis de la Terre qui proposent le nom de René Dumont, que Jean Carlier ne connaissait pas personnellement à cette époque. Il contribue néanmoins à le décider puis à le faire introniser lors d’une réunion des représentants de l’écologie militante à l’École d’Agronomie de Paris. Durant la campagne, improvisée en quelques semaines, organisée de façon collégiale, il fait office, entre autres, de conseiller en communication du candidat, faisant profiter René Dumont à la fois de son expérience et de ses contacts. À l’issue de la campagne, il participe aux assises de Montargis de juin 1974 et approuve la création du Mouvement Écologique. Jean Carlier contribue incontestablement à la politisation de l’écologie ; par la suite pourtant, ses incursions directes en politique restent ponctuelles, bien qu’elles ne soient en rien négligeables.
En effet, en 1979, il figure en dernière position sur la liste Europe-Écologie menée par Solange Fernex. Il contribue cette même année à la fondation du MEP (Mouvement d’Écologie Politique) et siège à son conseil national en 1980-81 ; cependant, partisan de la candidature de Jacques-Yves Cousteau pour l’élection présidentielle de 1981, il renonce à son poste au sein du MEP quand ce parti s’engage dans la campagne présidentielle aux côtés de Brice Lalonde. En 1983, il est encore candidat aux municipales à Paris sur la liste Paris-Écologie en seconde position derrière René Dumont. En 1988, on le retrouve encore comme interlocuteur d’Antoine Waechter dans les spots officiels de la campagne présidentielle. De fait, ses positions l’amènent à être plus proche d’Antoine Waechter que de Brice Lalonde dont il ne partage pas la vision sociale de l’écologisme.

L’engagement écologique de Jean Carlier se manifeste par d’autres voies que la seule compétition électorale. À partir de septembre 1974, il tient sur RTL une chronique matinale, La qualité de la vie, quotidienne de 1974 à 1978, ce qui correspond à la période haute du souci de l’environnement, puis hebdomadaire de 1978 à 1982 : au total pas moins de 1 500 chroniques. En deux minutes, il s’attache à informer le public sur des faits d’actualité ayant trait à l’écologie, qu’il s’agisse de l’énergie solaire, de la voiture électrique ou de l’agriculture biologique. Par ces chroniques, Jean Carlier entend montrer qu’il est possible de parler d’écologie avec compétence et sans effrayer le public, de lui montrer qu’il ne s’agit en rien d’une lubie de marginaux mais de la société de demain, en germe dès aujourd’hui. L’impressionnante liste des chroniques illustre l’intérêt pour les questions environnementales en France des années soixante-dix, intérêt qui reflue au début des années quatre-vingt.

Par ailleurs, dans ces années soixante-dix, Jean Carlier s’investit dans un nombre toujours plus grand d’associations. Ainsi, il représente l’AJEPN au Bureau Européen de l’Environnement, il participe au Rassemblement des Opposants à la Chasse de Théodore Monod ainsi qu’au Groupe-Paul-Emile-Victor créé en 1974. À ce titre, il écrit un rapport sur l’eau et assiste à la Conférence des Nations Unies sur l’eau de Mar del Plata en 1977. Il considère ces engagements associatifs, qui interpellent l’opinion par des moyens variés, plus efficaces que les manifestations de masse, par ailleurs peu compatibles avec son statut à RTL. Il collabore en outre régulièrement avec les revues Combat Nature et Écologie.

Convaincre l’opinion et les pouvoirs publics

Son départ de RTL en 1982 l’amène à intensifier ses engagements associatifs à mesure que ses contraintes professionnelles se desserrent. Son engagement est à la fois journalistique et associatif. Ainsi, il est vice-président de Radio-Paris-FM où il anime une émission, Feu Vert, tout en continuant sa collaboration avec Combat Nature et Le Courrier de la nature. Par ailleurs, il s’investit dans les années quatre-vingt dans un autre moyen de diffusion des thématiques environnementales en tant que président des jurys des prix Écoproduit et Cigogne de Cristal.

À cette époque, il prend davantage de responsabilités associatives en devenant notamment secrétaire de la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature, rebaptisée France Nature Environnement en 1990. Durant les années quatre-vingt-dix, il est également membre du Conseil consultatif de la fondation Cousteau et de Greenpeace-France. Ses nombreux voyages et ses multiples fonctions associatives l’amènent à envisager le caractère international des problèmes environnementaux : c’est ainsi qu’il participe en 1992 au Sommet de Rio de Janeiro (conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement) en tant que délégué au comité français du Sommet de la Terre. Progressivement, ses préoccupations se concentrent sur le lien entre écologie et santé et notamment sur une approche globale de la prévention des maladies prenant en compte l’environnement des individus. À ce titre, il devient président, puis président d’honneur du Comité National Contre le Tabagisme.
Journalisme et engagement associatif étaient complémentaires pour Jean Carlier. Ainsi a-t-il su tirer parti de chacune de ces activités au service d’une vision globale de l’écologie qui, pour lui, incluait la protection de l’environnement, mais ne s’y réduisait pas. Profondément convaincu que l’opinion et les pouvoirs publics doivent être gagnés à ces idées, Jean Carlier s’est employé, depuis les années soixante, jusqu’à sa mort survenue le 5 avril 2011 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) à diffuser son message et à mettre en relation les personnes pouvant concourir à l’aboutissement de cette démarche.

Œuvres de Jean Carlier :

 Vanoise, victoire pour demain, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
 Mort aux veaux, Paris, Julliard, 1973.
 Emissions sur RTL : la Bourse aux chansons, la Qualité de la vie, la Course autour du monde.

Source :

Entretien réalisé le 8 mars 2010 par Alexis Vrignon.


Par Alexis Vrignon
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