Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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Regards historiques sur les origines de la protection des oiseaux en France

Le 21 septembre 2012, l’AHPNE s’est associée à la Ligue pour la Protection des Oiseaux, à l’occasion de son centenaire, pour organiser dans le cadre de la 1re édition du Festival Birdfair une journée d’étude ayant pour but de remettre en perspective historique la protection des oiseaux sous le double point de vue de l’ornithologie et de la société.

En effet, les oiseaux et leur protection sont un élément essentiel de l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement et de la naissance de l’écologie comme science : ils sont à l’origine des mouvements sociaux les plus importants et les plus précoces de la protection de la nature ; ils ont conduit à l’adoption des premières mesures législatives de préservation de l’environnement naturel ; ils ont été un élément moteur de la transformation des pratiques scientifiques.

Les intervenants, venus d’horizons variés, ont eu à cœur de porter des regards différents sur l’oiseau et sa protection, sur des sujets souvent inattendus et largement méconnus des ornithologues et des protecteurs.

Philippe de Grissac et Henri Jaffeux (photo Pourny Michel)

Philippe de Grissac, vice-président de la LPO, et Henri Jaffeux, président de l’AHPNE soulignèrent tout d’abord l’intérêt d’interroger l’histoire pour aider les protecteurs des oiseaux et de la biodiversité d’aujourd’hui à poursuivre l’action de leurs devanciers en comprenant leurs réussites et leurs échecs.

Rémi Luglia (photo Pourny Michel)

Rémi Luglia, agrégé et docteur en histoire, membre associé du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, UMR 6583 (CNRS / Université de Caen Basse-Normandie) « Axe rural », a tout d’abord examiné la date de 1912 en s’interrogeant sur le présupposé de rupture qu’elle contient par la fondation de la LPO et la création de la réserve ornithologique des Sept-Îles. En historien, il a pris soin d’insérer ces événements dans une temporalité étirée du XIXe au XXe siècle pour mesurer ce qui relève du symbole et ce qui représente une réelle mutation. Il a fondé sa démonstration sur de nombreux documents d’époque.

Renaud Bueb (photo Pourny Michel)

Renaud Bueb, maître de conférences en droit à l’université de Franche-Comté, s’est ensuite attaché à identifier ce qui, dans le droit français de l’Ancien Régime et du XIXe siècle, pouvait être annonciateur d’une protection. Ainsi il a révélé la façon dont le législateur, et à travers lui la société, considérait l’oiseau et envisageait sa protection, parfois de façon étonnante ou paradoxale.

Eric Baratay (photo Pourny Michel)

Éric Baratay, professeur d’histoire à l’université de Lyon-3, spécialiste des relations homme-animal, étudie les rapports mouvants entre les catholiques français et la protection des oiseaux du XVIIIe au XXe siècle, peu connus y compris des ornithologues et des protecteurs des oiseaux.

Au XVIIIe siècle, les oiseaux sont exclus de la relation avec Dieu et deviennent « utiles » ou au contraire « nuisibles ». L’Église rompt alors avec la nature, sous prétexte que seul l’homme a une âme. On récuse alors Saint François d’Assise. Les protestants français développent au même moment une vision similaire. En 1774, il est par exemple affirmé que Dieu n’a pas à s’occuper des « vils » animaux. C’est alors qu’apparaît la notion de nuisibles, attribuée par exemple aux serpents et aux insectes ravageurs : ces animaux peuvent être détruits car ils sont extraits de l’œuvre divine. Auparavant, on considérait que ces animaux étaient envoyés pour punir les hommes de leurs fautes : ils avaient donc une raison d’être, une légitimité, une « utilité ».

Mais entre 1840 et 1930, un réel intérêt pour la protection de la nature se manifeste dans l’Église, pour une partie des animaux. Les oiseaux sont alors réputés chanter les louanges de Dieu, haut dans le ciel, alors que les serpents rampent à terre. Les anges ont des ailes, et la colombe du Saint Esprit fait le lien entre le ciel et la terre : ces images extrêmement valorisantes invitent à la plus grande bienveillance envers le peuple ailé. Les corbeaux, les rapaces et les chauves-souris sont néanmoins considérés comme des animaux maudits, hormis l’aigle de Saint-Jean. Saint François d’Assise, en Italie, qui parle aux oiseaux, et Saint François de Salle, en France, sont à nouveau pris comme références. Certains moines élèvent des oiseaux et cette compagnie est favorablement jugée par la hiérarchie catholique. Les séminaristes n’ont pas le droit de détruire les nids. D’une façon générale, le clergé cherche à regagner le monde paysan. Ainsi en 1838, l’abbé Gaume explique que les oiseaux chanteurs sont les nouveaux missionnaires et en 1857, il s’oppose à la destruction des oiseaux insectivores, alliés du paysan. De son côté, l’archevêque de Bordeaux, Mgr Donnet, plaide au même moment pour les animaux dans les comices agricoles : il réhabilite la taupe, plaide pour la suppression du joug imposé aux animaux de trait et défend les oiseaux insectivores. Il propose la suppression de la chasse et la répression du braconnage. C’est l’époque où le curé d’Ars fait ses lectures en forêt et où Thérèse de Lisieux s’intéresse aux cimetières d’oiseaux. Le futur entomologiste Jean-Henri Fabre découvre sa vocation grâce à un curé de son Rouergue natal. Cet intérêt de l’Église pour la nature disparaît dans les années 1930. Il n’est poursuivi que dans certaines écoles privées et surtout dans le mouvement scout.

Eric Pierre (photo Pourny Michel)

Maître de conférences à l’université d’Angers, Éric Pierre décrit alors le rôle de la SPA (Société Protectrice des Animaux) dans la protection des oiseaux au XIXe siècle. Il explique que la SPA, créée en 1845, ne s’intéresse d’abord qu’aux animaux domestiques (chevaux et bovins surtout), victimes en ville de la brutalité des cochers et charretiers. En conséquence, la loi Grammont de 1850 ne condamne que les violences publiques faites aux animaux domestiques. Au même moment, la SPA approuve la vivisection, en accusant de sensiblerie les antivivisectionnistes. Elle s’attache également à développer la consommation de viande de cheval, rejoignant en cela la Société d’acclimatation. Mais elle ne dit rien sur les oiseaux jusqu’en 1856, date à laquelle le docteur Blatin crée une commission pour la défense des insectivores. Assignant des valeurs anthropomorphiques aux petits oiseaux, la SPA en fait des symboles de l’amour maternel et de la fidélité conjugale. Elle réclame l’arrêt de leur destruction, d’une part sur des considérations morales car elle rejette les pratiques « barbares » c’est-à-dire autres que la chasse au fusil et, d’autre part, pour des motifs utilitaristes. Par ailleurs la SPA attribue à Michelet sa médaille de vermeil et apprécie le ralliement de Mgr Donnet, alors que l’association était jusqu’alors très peu catholique.

Un sommet est atteint avec le congrès international de Hambourg en 1892. La SPA se déclare contre la chasse au filet, à la glu, et contre le dénichage, encore très pratiqué par les écoliers. On se met à étudier le contenu de l’estomac des oiseaux afin de les déclarer insectivores et donc « utiles ». Un ornithologue entre même au secrétariat général de l’association. S’il y a de vifs débats à propos des fourrières ou de la tauromachie, les oiseaux recueillent l’unanimité, fait unique dans l’histoire de l’association : on peut véritablement parler de consensus sur ce thème. Le mouvement éclate ensuite au profit d’associations spécialisées (chevaux, chiens, oiseaux, etc.). La SPA est un excellent exemple d’une protection avant tout morale des oiseaux qui en France, se distingue assez nettement du courant naturaliste.

Valérie Chansigaud (photo Pourny Michel)

Valérie Chansigaud, historienne de l’environnement, chercheur associé à SPHERE (Paris 7), analyse quant à elle les relations entre l’ornithologie et la naissance de l’écologie scientifique, notamment en insistant sur l’importance de l’apparition de nouvelles pratiques : celles de l’observation d’oiseaux vivants. Elle replace le cas français dans son contexte international.

Anne Lombardi (photo Pourny Michel)

Anne Lombardi, écologue, coordinatrice du numéro spécial du Courrier de la Nature consacré aux oiseaux et à leur protection, conclut la journée d’étude en liant les divers regards historiques à l’actualité et aux temps présents.


Par Rémi Luglia

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