Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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TRAYNARD Philippe (1916-2011)

Philippe Traynard est né le 25 novembre 1916 à Sommières dans le Gard et a passé son enfance à Marseille. Sa mère, Marie Léonie Méjean, sans profession, élevait ses cinq enfants. Son père, Marie Claude Émile Traynard, était professeur de mathématiques à la faculté de Marseille. D’origine modeste, celui-ci avait révélé très tôt des dons exceptionnels qui l’ont conduit à l’École normale supérieure puis à l’agrégation. Lui-même normalien, Philippe Traynard est reçu premier à l’agrégation de physique-chimie en 1942. Après une thèse de doctorat d’État en chimie (1946), il obtient une bourse de recherche qui lui permet de passer trois ans en Suède. Il épouse le 24 juillet 1941 Claude Marie Blanche Laurence Viard, avec laquelle il aura cinq enfants.

Nommé professeur en octobre 1949, il opte pour un poste à l’Université de Grenoble. Déçu par l’Université, qu’il juge rigide et éloignée des réalités, il se tourne vers les écoles d’ingénieur, qui lui paraissent mieux adaptées à la préparation des étudiants à la vie active. Il enseigne à l’École française de papeterie, dont il devient directeur en 1971. Il s’emploie à rapprocher industrie et recherche et à faire adopter des innovations comme un procédé pour le blanchiment de la pâte à papier. Il participe par ailleurs, aux côtés de Louis Néel (prix Nobel de physique 1970), à l’équipe fondatrice du centre d’études nucléaires de Grenoble (CENG) et à l’essor du pôle scientifique de Grenoble. Il y dirige le laboratoire de chimie sous rayonnement de 1956 à 1971. De 1971 jusqu’à son départ à la retraite en 1981, il enseigne à l’INPG, qu’il préside à partir de 1976.

Malgré ces multiples activités, Philippe Traynard réserve chaque fin de semaine à l’alpinisme. Il s’est mis à pratiquer assidûment la montagne, simplement approchée dans son enfance et sa jeunesse, en arrivant à Grenoble. Sa femme partage sa passion et c’est ensemble qu’ils partent faire des courses : « la montagne nous a pris », dit-il. Il ne s’agit pas pour eux de battre des records : « On est l’hôte de la montagne, on n’en est pas le vainqueur » (1). Il se considère plutôt dans ses courses en montagne comme un contemplatif, et même à une époque, un mystique. Ces escapades hebdomadaires lui permettent « d’aplanir les soucis du quotidien, de se ressourcer, et de se rapprocher de l’essentiel » (2). Il publie avec son épouse trois topo-guides sur le ski de randonnée dans les Alpes, décrivant sur la base de leur expérience l’ascension de 306 sommets des Alpes françaises, et pilote un ouvrage collectif sur le ski de montagne (3). Il défend dans ces textes ce qu’il préfère nommer « le ski de montagne », respectueux des paysages, par opposition au ski de piste, qui les déforme et les artificialise.

Cette passion pour la montagne le conduit à exercer de nombreuses responsabilités : il est président du Club alpin français (Caf) Isère de 1963 à 1971 puis de 1974 à 1978, vice-président du Caf national de 1966 à 1973, président de la Fédération française de la montagne (Ffm) de 1981 à 1985, président de l’Association pour l’étude de la neige et des avalanches (Anena) de 1978 à 1983, fondateur puis président de l’association « la Grande traversée des Alpes » de 1970 à 1983, enfin conseiller technique auprès du préfet de l’Isère pour le secours en montagne de 1983 à 1996. Au sein de ces instances, il défend la liberté de pratique et même l’arrivée de nouvelles disciplines, telles que le ski-alpinisme de compétition, à condition que les sites ne soient pas abîmés. Il continue à skier jusqu’à ce qu’une mauvaise chute l’oblige à s’arrêter, en 2004, à l’âge de 87 ans mais il se rééduque avec ténacité et repart sur les pistes jusqu’au printemps 2010, à l’âge de 93 ans, entouré de ses enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants.

C’est en tant que représentant du Caf qu’il entre en 1967 au conseil d’administration du parc national de la Vanoise, où il siège jusqu’en 1986. Très attaché à la mission des parcs de préserver certains espaces de tout aménagement destructeur, il s’implique fortement dans la vie du parc national. Bien que son travail de chimiste n’ait aucun rapport avec la nature, il est nommé membre du conseil scientifique en 1969, en raison de son excellente connaissance de la montagne alpine et de la Vanoise en particulier et, pense-t-il, de sa capacité à arbitrer les débats entre les différentes disciplines représentées au conseil. Cette même année commence l’affaire de la Vanoise : le projet de promoteurs immobiliers de créer une station de sports d’hiver dans le vallon de Chavière, à l’intérieur du premier parc national français, vieux de quelques années seulement, suscite une extrême émotion dans les milieux naturalistes et est à l’origine du premier combat écologiste en France. Il se trouve que Philippe Traynard sort alors à peine d’un drame personnel (la mort de trois de ses enfants dans un accident d’avion) : la lutte politique lui offre une voie dans laquelle il explique s’être, par nécessité, jeté à corps perdu, sans avoir été auparavant un militant de l’écologie. De fait, il joue un rôle essentiel dans le déclenchement de « l’affaire », en publiant dans Le Monde des 16-17 mars 1969 un article, « le Parc de la Vanoise en danger », dont le retentissement l’étonne lui-même. Ses prises de position engagées contribuent ensuite fortement au développement de « l’affaire », qui mobilise pendant trois ans les sphères scientifiques, politiques et militantes de la protection de la nature, jusqu’à ce que la décision d’abandonner le projet soit prise au plus haut niveau de l’État, en 1971. Après l’affaire, Philippe Traynard continue de beaucoup s’impliquer dans la vie du parc. Il est membre du comité scientifique jusqu’en 1986 et il en assure la présidence pendant plus de dix ans (1975-1986). Il en est ensuite le président honoraire de 1988 à 1992.

Il siège également plusieurs années (1988-1996) au conseil d’administration du Parc national des Écrins, sans trouver aux relations et aux débats avec les élus locaux le même intérêt qu’en Vanoise.

Il regrettait que les moyens aient longtemps manqué à ces deux parcs pour agir de manière significative dans la zone périphérique et orienter les aménagements, réalisés sans que les parcs puissent intervenir. Il regrettait aussi que les efforts consentis pour préserver un patrimoine historique et traditionnel particulièrement intéressant n’aient pas été plus importants. D’une manière générale, il souhaitait que les questions humaines soient davantage prises en compte dans les actions des parcs, considérant que « la mission la plus haute d’un parc, c’est en protégeant la nature, de protéger l’homme » (4). Il se montre assez critique envers l’approche de l’État, qui a selon lui plaqué des protections réglementaires en méconnaissance des réalités humaines et économiques.

Cette préoccupation pour la prise en compte des activités humaines l’amène à participer avec enthousiasme, en 1966, au colloque de Lurs (Alpes de Haute-Provence), dont les réflexions débouchent sur la création des parcs naturels régionaux (institués par le décret du 1er mars 1967). Il est en effet séduit par l’idée d’un développement équilibré, permettant de concilier les activités humaines avec la protection des paysages, de la nature et du patrimoine culturel. Il est d’ailleurs l’un des initiateurs précoces du projet de parc naturel régional du Vercors, créé en 1970.

Dans le même esprit de développement d’un tourisme respectueux de l’environnement, il est également le créateur, en compagnie de Philippe Lamour et avec le soutien de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), de la Grande traversée des Alpes (GTA), empruntant le sentier du GR 5, du lac Léman à la Méditerranée. Il crée en 1970 l’association de la GTA, qu’il préside jusqu’en 1983.

Il a siégé à la Commission départementale des sites de l’Isère, où il s’est opposé à certains projets d’équipements tels que celui concernant les lacs Robert à Chamrousse. Toutefois, dans les divers conseils où il a siégé, il s’est toujours gardé de positions « excessives » conduisant à tout interdire. Convaincu de la nécessité de prendre en compte d’autres intérêts que la préservation de la nature, il a cherché à être « un écologiste raisonnable ».

Quelques mois avant sa disparition, le 11 janvier 2011, Philippe Traynard se disait peu optimiste sur l’avenir de la protection de la nature et pensait que la croissance démographique rendrait inévitable le grignotage progressif des espaces naturels. Il dressait des effets de la protection en France, un bilan contrasté. Les bords de mer lui paraissaient avoir été irréversiblement saccagés. Il estimait, en revanche, que la montagne avait bénéficié d’une intervention précoce et organisée, qui a permis de préserver une fraction significative de l’espace. Son action personnelle, son énergie et sa détermination au service de la montagne alpine y ont sans nul doute contribué.

Sources : entretiens avec Philippe Traynard en juin 2000 et mai 2010.

Notes :

(1) Alpes Magazine, février 2010.
(2) Interview de Philippe Traynard dans « Direct’Cimes » n°3- 1998- FFME.
(3) « Alpes et neige - 101 sommets à ski », Arthaud, 1965, « Cimes et neige - 102 sommets à ski », Arthaud, 1971, « Ski de montagne », Arthaud, 1974, « Dômes, pics et neige - 103 sommets à ski », Flammarion, 1985.
(4) N° spécial XXIII – 1971- RFF sur les parcs nationaux français.


Par Isabelle Arpin ,Madeleine Boucard
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