Alessandro Ghigi naît le 9 février 1875 à Bologne dans une famille de la bonne bourgeoisie citadine. Son père, Callisto, un riche avocat, est passionné d’aviculture. Il est aussi un membre influent de l’Académie Nationale d’Agriculture. Un an avant la naissance de son fils, Callisto achète sur les collines qui dominent la ville, une villa ayant appartenu à la noblesse et dotée d’un grand parc. Grà¢ce aux longues périodes qu’il y passe, à ses études près de l’abbaye Fiesolana et à l’influence paternelle, Alessandro se passionne depuis l’enfance pour la vie des animaux et des plantes et il choisit de se consacrer à la zoologie. Il passe une maîtrise dans cette discipline à Bologne en 1896 avec l’entomologiste Carlo Emery (1848-1925) commence aussitôt une carrière universitaire.
Ghigi montre dès son plus jeune à¢ge, un activisme et un goà »t pour l’exercice du pouvoir qu’il conservera jusqu’aux derniers jours de sa longue existence. De 1904 à 1919, Ghigi ajoute l’activité politique à sa carrière universitaire dans les rangs de la droite libérale. Malgré son poids politique considérable, qui le porte à être à la fin des années 1910, le leader reconnu des libéraux Bolognais, ses différentes tentatives pour conquérir la majorité à la commune de Bologne ou un siège de député au Parlement se soldent par un échec : Bologne et l’Emilie restent fermement socialistes et offrent peu de chances de succès aux libéraux. Malgré cela, Alessandro Ghigi contribue au succès de la droite dans une autre ville de l’Emilie, Rimini. Il y sera conseiller municipal de 1905 à 1919 et adjoint délégué au budget pendant quelques années. Après l’échec de sa candidature à la chambre des députés en 1919, Alessandro Ghigi décide de s’éloigner définitivement de la politique active et de concentrer tous ses efforts pour faire de l’université, son domaine d’exercice du pouvoir.
C’est aussi au cours des vingt premières années du siècle que se révèle l’intérêt d’Alessandro Ghigi pour la protection de la nature – Alors que sa formation est, et restera toujours – celle d’un zoologiste "appliqué", c’est-à -dire un spécialiste des oiseaux destinés à l’élevage ou à la chasse, Alessandro Ghigi s’implique dès 1900 dans le mouvement naissant de la protection de la nature. Non seulement il contribue à fonder une des premières associations italiennes de défense de la nature, la Société émilienne « Pro Montibus et Sylvis  » dont il sera président de 1906 à 1913, mais il est surtout un des protagonistes, dans les années 1910 - 1913, de l’initiative pour la création des premiers parcs nationaux italiens.
Dans le débat commencé au sein des naturalistes italiens en 1910 [1] avec la publication de deux importants articles de Carl Schrà¶ter (1855-1939) et d’Henry Correvon (1854-1939), Alessandro Ghigi intègre les connaissances acquises en 1907 lors de son voyage aux États-Unis pour participer au huitième congrès zoologique international. Au cours de ce voyage, il a également rendu visite au « Bureau of Biological Survey  » et s’est familiarisé avec une méthode d’évaluation de l’importance faunistique d’une zone au moyen du recouvrement de cartes de répartition des espèces animales.
En appliquant cette méthode à l’Italie, Alessandro Ghigi établit un classement des zones qui mériteraient d’être protégées et il en expose les résultats lors de la première exposition internationale de la chasse à Vienne, en 1910. Sur la base de ces résultats, il est parmi les premiers à déterminer la zone du haut Sangro, dans les Abruzzes, comme lieu possible d’un parc national. Aussi, dans les années suivantes, quand la procédure pour la création du parc des Abruzzes débutera, il sera un conseiller écouté du ministère de l’Agriculture et des Forêts.
Bien que qu’Alessandro Ghigi ne soit pas un protecteur de la nature de la première heure, à l’inverse de Luigi Parpagliolo (1862-1953), Renato Pampanini (1875-1949), Lino Vaccari (1873-1951) ou Romualdo Pirotta (1853-1936), son engagement est récompensé en 1913 par l’invitation qui lui est faite de faire partie du Comité national italien pour la défense du paysage et des monuments naturels, un organisme de coordination des institutions et des associations qui s’occupent de protection de la nature. Il faut également signaler que qu’Alessandro Ghigi est, durant ces années, en relation avec différents pionniers de ce mouvement au niveau européen, parmi lesquels l’Allemand Hugo Wilhelm Conwentz (1855-1922). Il est important de noter également qu’il devient membre de la Société national d’acclimatation française à partir de 1916 et jusqu’à la Seconde guerre mondiale et qu’il représente l’Université royale de Bologne au 1er Congrès international de protection de la nature organisé à Paris en mai-juin 1923 sous les auspices de la Société d’acclimatation.
Le déclenchement de la première guerre mondiale provoque un arrêt presque total des activités du mouvement associatif de protection de la nature et met un terme à la première phase du militantisme d’Alessandro Ghigi. Quand le Comité national pour la défense du paysage est reconstitué en 1921, il est à nouveau appelé à en faire partie, mais le zoologiste bolognais est à présent engagé presque exclusivement dans la construction de sa carrière universitaire. Une carrière qu’il mène en effet de succès en succès : en 1922, il obtient le bureau de zoologie ; en 1925, il devient professeur ordinaire ; en 1927, il est nommé secrétaire du Groupe provincial fasciste de l’école, (Ghigi s’est inscrit au parti national fasciste en 1924), et en 1930, il obtient finalement le poste de recteur de l’université de Bologne, charge de grande importance politique, l’université bolognaise étant une des plus anciennes et des plus importantes d’Italie. Son engagement, en tant qu’intellectuel du régime, est récompensé en février 1943 par sa nomination comme sénateur du Royaume d’Italie.
Pressentant la fin prochaine du fascisme, Alessandro Ghigi renonce à l’automne 1943 à sa charge universitaire. Mais ce geste ne suffit pas - après la Libération – à lui éviter la prison et la perte de ses postes de sénateur et d’enseignant. Cependant, grà¢ce à son prestige scientifique à un comportement relativement modéré de sa part durant les années comme recteur et à son riche réseau de relations, Ghigi réussit en peu de temps à se faire réhabiliter et à reconquérir ses prérogatives universitaires. Ayant dépassé soixante-dix ans, il ne reprend pas l’enseignement mais continue à s’impliquer dans les différentes institutions de la zoologie bolognaise. Il se consacre aussi à de nouvelles et vieilles passions dont, notamment, la protection de la nature.
Son réinvestissement en faveur de la protection de la nature se révèle dès 1947 avec la publication d’un article [2] sur les congrès internationaux pour la protection de la faune qui se sont tenus dans les années précédentes. Il s’intensifie l’année suivante, quand il crée à Bologne la section italienne du Comité International pour la Protection des Oiseaux (CIPO) dont il est nommé président et quand il promeut la création d’une commission sur les parcs nationaux au sein du Conseil National des Recherches (CNR). Cet intérêt constant pour les parcs nationaux a débuté avec sa participation à la rédaction d’un article sur le sujet dans l’ « Enciclopedia Italiana  » au cours des années 1930. Dès lors, en 1948, il réussit à obtenir l’autorisation de faire une recherche sur la faune du parc national des Abruzzes créé en 1922. À la suite de cet engagement, il sera nommé membre du conseil d’administration du parc.
Au commencement des années 1950, son implication, toujours renouvelée, dans le champ de la protection de la nature, se déploie dans un crescendo d’initiatives éditoriales et institutionnelles : en 1950, il publie deux essais à caractère général [3] , le premier sur les parcs nationaux et le second sur le mouvement de la protection de la nature ; en 1951, il est nommé président de la Commission pour la protection de la nature, nouvellement constituée au sein du Conseil National des Recherches (CNR) ; en 1952, il est nommé président de la Société Emilienne « Pro Montibus et Sylvis  » après sa reconstitution ; en 1954, il devient membre d’honneur de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UICN) pendant la 4e assemblée générale de l’organisation.
Du milieu des années 1950 jusqu’à sa mort en 1970, Alessandro Ghigi devient le représentant le plus en vue - également au niveau international - de la protection de la nature en Italie avec le directeur du parc national du Grand Paradis, Renzo Videsott (1904-1974). Cependant, il jouit d’une position et d’un prestige institutionnel bien plus grands, grà¢ce à ses charges, ses titres, ses relations universitaires et politiques, et à son accès à la presse quotidienne.
Durant une période assez longue, toutefois, il utilise ce pouvoir de manière plutôt conventionnelle, sans égaler l’implication et la passion civique dont fait preuve Renzo Videsott dans le même temps. Dans les dix dernières années de son existence, Alessandro Ghigi se transforme cependant en un combattant tenace, en accentuant son engagement pour les zones protégées menacées et pour la diffusion de la culture environnementaliste, aussi bien dans la presse quotidienne, que dans les institutions et les organismes internationaux.
Au nombre des exemples de cet engagement tardif, il faut citer la motion contre la dévastation du parc national des Abruzzes qu’il a faite approuver lors de la huitième assemblée générale de l’UICN de Nairobi en 1963, le soutien constant donné à Renzo Videsott dans sa bataille pour la conservation de l’intégrité du parc national du Grand Paradis, l’organisation et la direction du congrès pionnier de Rome en 1964 sur « la protection de la nature et du paysage  » au cours duquel il prend une position très déterminée qui révèle un climat général de très grande préoccupation quant au devenir de l’environnement en Italie. Alessandro Ghigi meurt à Bologne le 20 novembre 1970, à l’à¢ge de 95 ans, alors qu’il est encore en charge de la présidence de la Commission sur la conservation de la nature du CNR et peu de temps après avoir cédé la présidence de la section italienne du CIPO à Renzo Videsott.
Personnage critiqué pour son rôle politique pendant le fascisme, acteur d’un environnementalisme discontinu et parfois peu incisif, Alessandro Ghigi se détache cependant dans le panorama de la protection de la nature en Italie en tant qu’il constitue un pont entre la génération du début du siècle et celles de l’après-guerre. C’est un des rares universitaires de haut niveau à s’être occupé de législation environnementale et de vulgarisation naturaliste. C’est le seul Italien - avec Renzo Videsott – à avoir eu des contacts avec les milieux de la protection de la nature à l’étranger et avec les organismes internationaux, mais aussi, à avoir réussi à saisir opportunément le changement de climat - national et international – qui s’est manifesté au milieu des années 1960. Bien qu’alors presque centenaire, dans les dernières années de sa vie, Alessandro Ghigi a montré une vitalité, une détermination, une mobilisation et une implication peu communes qui le consacrent définitivement comme une des figures centrales dans l’histoire italienne de la protection de la nature et de l’environnement.
Sources :
– Alessandro Ghigi, naturalista ed ecologo. Convegno organizzato dall’Università degli studi di Bologna e dall’Istituto nazionale per la fauna selvatica, Bologna 8 ottobre 1999, edité par Mario Spagnesi, Ozzano dell’Emilia, Istituto Nazionale per la Fauna Selvatica, 2000.
– Ghigi Alessandro, Autobiografia, edité par Mario Spagnesi, Ozzano dell’Emilia, Istituto Nazionale per la Fauna Selvatica, 1995.
– Lama Luisa, Da un secolo all’altro. Profilo biografico e scritti di Alessandro Ghigi, 1875-1970, Bologna, Clueb, 1993.
– Pedrotti Franco, “Alessandro Ghigi†, in Id., I pionieri della protezione della natura in Italia, Trento, Temi, 2012, pp. 71-86.
[1] L’initiative des associations et des autorités suisses pour la création d’un parc national en Engadine stimule en Italie, à partir de 1910, des recherches et une réflexion collective qui debouchent sur la publication de trois remarquables essais : Renato Pampanini, Per la protezione della flora in Italia, Firenze, Società Botanica Italia, 1912 ; Id., Per la protezione dei monumenti naturali in Italia, Firenze, Società Botanica Italia, 1912 ; Lino Vaccari, Per la protezione della fauna italiana, Perugia, Stabilimento Tipografico Bertelli, 1912. Ces ouvrages contiennent de nombreuses propositions de parcs nationaux très bien argumentées.
[2] Alessandro Ghigi, “Congressi internazionali per la protezione degli uccelli e delle bellezze naturali (Londra, Edinburgo, Parigi)†, “Ricerca scientifica e ricostruzione†, XVII (1947), n. 11.
[3] Alessandro Ghigi, “Il problema dei parchi nazionali e della protezione della natura, Roma†, "La ricerca scientifica", XX (1950), n. 6 ; Id., “Il movimento per la protezione della natura. Relazione tenuta al Rotary Club di Bologna l’8 aprile 1950†, "Realtà nuova", n. 7.