Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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VIDESOTT Renzo (1904-1974)

Renzo Videsott naît le 10 septembre 1904 à Trente en Italie d’une famille de petits marchands d’origine ladine [1] et se passionne depuis l’adolescence, comme beaucoup de jeunes trentins de sa génération, pour la vie à la montagne. À quinze ans, il commence à grimper sur des hauteurs plus périlleuses et à chasser le chamois. Quand, en 1924, il s’inscrit à l’université de médecine vétérinaire de Turin, il se trouve en contact avec un groupe de plusieurs étudiants originaires des Alpes Orientales qui se mesurent sur les techniques d’escalade. La même année, il entre dans la section universitaire de la « Sociétà Alpinisti Tridentini  » (SUSAT) dont il devient en 1927 le dernier président avant sa dissolution décidée par le régime fasciste. Dans la SUSAT, Videsott fait partie du groupe d’alpinistes de pointe, qui s’enrichit en 1927 de Domenico Rudatis (1898–1994), plus à¢gé, écrivain et grand théoricien de l’escalade sportive. Avec Rudatis, Videsott accomplit, entre 1928 et 1930, une série d’ascensions de niveau international dont la première voie italienne de sixième degré : la Cime du Busazza (3 225 m) gravie le 31 aoà »t 1929. Bien qu’il soit encore très jeune, membre de droit du Club Alpin Académique Italien (CAAI) et en pleine forme physique, il décide en 1931 d’abandonner l’escalade pour entreprendre une carrière universitaire à Turin et s’occuper de sa famille. En effet, la même année, il s’est marié avec Johanna Mutschlechner et a eu sa première fille Evanna.

Les engagements académiques à la faculté vétérinaire et familiaux ne l’empêchent cependant pas de retourner de temps en temps à la montagne, que ce soit dans les Alpes Occidentales ou dans les Dolomites natales, pour de longues et prenantes excursions ou pour la chasse au gros gibier. La vie citadine, passée au contact de ses collègues et de sa clientèle privée, génère en lui un manque qu’il compense par un attachement émotionnel toujours plus fort à la vie en montagne. Malgré ce conflit intérieur, les années 1931 à 1939 sont intensément consacrées au travail et à la famille qui s’agrandit en 1933 et en 1937 avec l’arrivée de deux nouvelles filles, Cecilia et Elena. Cette « routine  » est perturbée par l’arrivée de la guerre en 1940. En juin, commencent les bombardements anglais sur Turin. En novembre, son élève et vieux camarade de cordée Giorgio Graffer (1912-1940) est abattu en Albanie au commande de son avion de chasse. En 1942, il transfère sa famille dans une ville voisine, Cuorgnè, et il reste seul à travailler dans Turin dévasté par les bombardements. Au cours de cette période dramatique, Videsott commence à réfléchir sur la possibilité de donner un sens différent à sa propre vie, plus proche des aspirations spirituelles et morales qu’il avait nourries dans sa jeunesse.

Une première réponse à ce besoin est apportée par son adhésion à la Résistance. Videsott entre en 1943 dans l’organisation « Giustizia e Libertà Â » (GL) de Turin et y accomplit différentes missions non armées. En 1945, il est nommé pendant quelque temps comme représentant de « Giustizia e Libertà Â » dans le conseil communal de Cuorgnè. Cependant, le vrai virage dans la vie de Videsott ne se produit pas dans le champ politique mais dans sa spécialisation universitaire : la faune. C’est en effet une succession d’événements qui le conduit à une véritable conversion. En 1941, frappé par le regard d’un chamois mourant, Videsott décide de ne plus chasser. L’année suivante, il est chargé de récupérer des bouquetins du Grand Paradis pour repeupler une réserve de chasse privée dans les Alpes Orientales. En 1943, il commence à réfléchir à la possibilité d’agir pour la sauvegarde de la population des bouquetins du Grand Paradis menacée par le braconnage. Durant l’été 1944, dans le cadre d’une mission officielle du Comité de Libération Nationale de Turin, il se rend dans la Vallée d’Aoste, à peine libérée par les partisans, pour prendre en main la réorganisation du parc national du Grand Paradis.

Cette mission amène un changement déterminant dans la vie de Videsott. Cet homme, qui ne s’est jamais intéressé à la protection de la nature, qui a même passé une grande partie de sa vie à chasser sans scrupule la faune sauvage, se consacre alors à la sauvegarde d’une population d’animaux sauvages dans le parc national qui l’accueille. Dynamique, visionnaire, intransigeant avec lui-même mais flexible et diplomatique avec ses interlocuteurs, il passe de longs mois à étudier les problèmes de gestion de la faune, la philosophie de la protection de la nature, le mode de fonctionnement des zones protégées dans le monde, les problématiques spécifiques du milieu alpin, si bien qu’à la fin de la guerre, il peut établir, avec compétence et lucidité, un programme ambitieux qui comprend, non seulement le sauvetage du Grand Paradis, mais aussi la création d’un grand parc national dans les Dolomites et d’une fédération des parcs nationaux italiens. S’il conserve son poste de professeur à l’université de Turin, son principal objectif est de réussir tôt ou tard à se consacrer à temps plein aux zones protégées et au retour à la montagne. Pour mener à bien ce projet complexe, il s’engage en même temps dans la fondation de la première association protectionniste de l’après-guerre, le « Movimento Italiano per la Protezione della Natura » (MIPN) qu’il crée en 1948, et dans le lancement de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UIPN). Son activisme intense au cours des conférences de Brunnen (1947), puis de Fontainebleau (1948) lui vaudra sa nomination dans le comité exécutif de l’UIPN dans lequel il restera durant deux mandats, jusqu’en 1953, aux côtés d’illustres personnages dont Roger Heim, William Vogt et Jean-Paul Harroy.

Au sein de l’UIPN, Videsott est le seul à soutenir - depuis 1947 - l’idée de l’institution de parcs internationaux, transfrontaliers, et son engagement inspire la naissance de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) à la fondation de laquelle il participera en 1952. Son action pour la création de réserves transnationales et pour la coordination entre parcs d’une même région géographique est confirmée en 1955, quand Videsott organise à Cogne le premier congrès international des administrateurs et directeurs des parcs nationaux avec la participation d’administrateurs et promoteurs de parcs italiens, autrichiens, suisses et français. Les participants français présents sont tous d’une manière ou d’une autre, engagés dans la constitution du parc national de la Vanoise et parmi eux, se détachent des personnalités historiques comme René Varlet, Gilbert André et Marcel Couturier, ce dernier étant un ami personnel et de longue date de Videsott, collaborateur du Parc national du Grand Paradis.

Au cours des années 1960, Videsott, devenu en 1953 directeur à temps plein du parc du Grand Paradis, est la personnalité la plus représentative du monde des espaces protégés italiens, bien qu’il n’ait eu aucune reconnaissance officielle dans sa patrie, si ce n’est la charge de membre de la Commission pour la protection de la nature du Conseil National des Recherches (CNR) et qu’il soit contraint à de continuels et difficiles combats pour défendre « sa  » réserve alpine. Durant ces mêmes années, il est en outre, avec Alessandro Ghigi (1875-1970), le protecteur de la nature italien le plus connu et le plus actif au niveau international, au point de mériter en 1964 la prestigieuse médaille « Alexander Von Humbolt  », attribuée par l’université de Bonn et la « FVS Stiftung  » [2]de Hambourg pour mérites naturalistes. Lors de la naissance du World Wildlife Fund italien, en 1966, Videsott sera appelé pour faire partie du comité d’honneur de la nouvelle association, en reconnaissance de son extraordinaire et longue œuvre solitaire en faveur de la défense de la nature en Italie.

Contraint à se battre à la fois contre différentes tentatives illégales de construire des bà¢timents et installations sportives à l’intérieur des limites du parc national et contre des braconniers puissants, Videsott est mis en minorité en 1969 dans le conseil d’administration du parc et il est contraint de partir en retraite anticipée. Il se consacre alors à l’écriture et à la coordination de la section italienne du Comité international pour la préservation des oiseaux (CIPO). Il meurt le 4 janvier 1974 à Turin. La même année, il sera inscrit dans l’International Conservation Roll of Honour créé par le World Wildlife Fund et l’UICN pour honorer les plus grands protecteurs mondiaux de la nature, aux côtés d’illustres personnalités comme Charles Jean Bernard (1876-1967), premier président de l’UIPN, de Rachel Louise Carson (1907-1964), auteur du « Printemps silencieux  », de l’anthropologiste Louis Seymour Leakey (1903-1972), et des naturalistes Fairfield Osborn (1857-1935) et William Vogt (1902-1968), auteurs à la fin des années 40 de deux oeuvres fondamentales pour la diffusion mondiale de la nouvelle culture environnementaliste.

Sources :

 Gabutti Arnaldo, Gran Paradiso delle tribolazioni 1947-1963, Trento, Temi, 2010.

 Il parco nazionale del Gran Paradiso nelle lettere di Renzo Videsott, edité par Franco Pedrotti, Trento, Temi, 2007.

 Pedrotti Franco, “Renzo Videsott†, in Id., I pionieri della protezione della natura in Italia, Trento, Temi, 2012, pp. 151-176.

 Piccioni Luigi, Primo di Cordata. Renzo Videsott dal sesto grado alla protezione della natura, Trento, Temi, 2010.

 Rudatis Domenico, Liberazione, Belluno, Nuovi Sentieri, 1985.


Par Luigi Piccioni


[1Le ladin est une langue d’origine romane parlée dans quelques régions du Nord-Est de l’Italie.

[2La fondation Alfred Toepfer Stiftung FVS a été créée en 1931. Son fondateur, Alfred Toepfer (1894-1993) est reconnu comme l’un des pionniers de la protection de la nature, des paysages et des parcs naturels en Allemagne. Durant les années 1990, son rôle et celui de sa fondation durant la période nazie ont fait l’objet de controverses. Ce passé a été éclairé par une commission indépendante d’historiens qui a fait l’inventaire critique de la biographie de Toepfer et de l’histoire de son institution. La fondation œuvre aujourd’hui en faveur de la construction européenne.
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