Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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LOPEZ Emmanuel (1948-2009)

Des racines très méditerranéennes

Emmanuel Lopez est né dans une famille aux origines andalouses à Oran en Algérie le 30 mai 1948. Agé, disait-il, de quarante jours, il est parti avec ses parents - son père était commissaire de police - pour Rabat, puis Casablanca au Maroc qu’il quitte pour Nancy au début des années 1960.

Après des études de droit et de sciences politiques et un troisième cycle d’urbanisme à Paris, il commence sa carrière en 1971 à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne. En 1973, il est chargé, à la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), de la réalisation du contrat ville moyenne de Rochefort-sur-Mer. Il y fait ses premières armes sur le terrain sous la bienveillante conduite de Jean-Louis Frot, futur maire de Rochefort. Ce dernier restera jusqu’à la fin de la vie d’Emmanuel Lopez un ami proche avec qui il échangeait des idées chaque fin de semaine.

Recruté au Conservatoire du littoral par Pierre Raynaud, premier directeur, en mars 1976, il occupe les postes de chargé de mission, de délégué Centre-Atlantique-Grands Lacs jusqu’en 1989, avant de devenir délégué pour la Corse puis directeur-adjoint jusqu’en 1994. De 1994 à 2004, il est directeur du Parc national de Port-Cros. Il revient au Conservatoire du littoral en 2004, comme directeur de l’établissement public, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort le 10 septembre 2009, terrassé brutalement par un cancer.

Ses racines de Français du Maghreb l’ont affectivement et culturellement profondément marqué. Il a porté tout au long de sa carrière une attention permanente à la Méditerranée, effectuant de nombreuses missions pour soutenir des projets exigeants de protection du patrimoine naturel dans de nombreux pays, notamment ceux cherchant à créer des mécanismes et organismes de protection du littoral et d’acquisition foncière (Maroc et Tunisie essentiellement). Le choix d’occuper le poste de délégué du Conservatoire du littoral en Corse puis de directeur du Parc national de Port-Cros est une illustration de ce très fort attachement à la Méditerranée. Passionné toute sa vie par l’architecture et l’aménagement de l’espace, Emmanuel Lopez est avant tout attiré par le paysage et il transmet dès les années 1970 cette passion à Michel Brosselin, pionnier de la protection de la nature des années soixante et à Michel Métais, futur directeur de la LPO.

« Il n’y a de richesse que d’hommes  »

Ce qui caractérise « l’œuvre  » d’Emmanuel Lopez au regard de la protection de la nature, c’est, d’une part, sa conviction « qu’il n’y a de richesse que d’homme  ». Il est en effet convaincu que les conflits peuvent être surmontés, notamment par la force du verbe, et il attache une grande importance à l’écrit et à certains auteurs (Albert Camus, René Char, René Girard). D’autre part, il possède la certitude qu’au delà des débats techniques et scientifiques, la beauté et l’harmonie – ce qui ne signifie pas mièvrerie et passéisme – sont des balises qui ne trompent jamais. Sa facilité à communiquer avec ses partenaires et collaborateurs a donné le sentiment à chacun d’être reconnu et sa capacité à partager son enthousiasme, la certitude d’avoir vécu une belle aventure humaine. Son visage rayonnant laisse à tous l’image d’un éternel jeune homme. En arrière-plan de ces convictions, Emmanuel Lopez vivait une foi chrétienne très œcuménique, aussi discrète dans sa manière d’être, que déterminante à donner du sens à son action. Elle l’inspirait et le guidait.

Un pionnier du Conservatoire du littoral

Au Conservatoire du littoral, dans ses fonctions de chargé de mission, puis de délégué de rivages, il fait acquérir des espaces menacés d’urbanisation et en particulier des sites emblématiques : le Roc de Chère sur le lac d’Annecy, le marais de Brouage en Charente-Maritime, le désert des Agriates en Haute Corse. Ces acquisitions forgent la crédibilité de l’établissement comme acteur de la protection du littoral.

Il participe étroitement au sein de l’établissement à la prise en compte dans la gestion des espaces littoraux de « l’histoire  » des sites façonnés par les éléments naturels au fil du temps mais très souvent aussi par l’action de l’homme. Sur les terrains du conservatoire, cette politique se traduit par des projets de dépoldérisation, de remembrement, de modification des réseaux hydrauliques, de reboisement et par le lien fait avec les activités agricoles, de pêche ou de chasse.

Conjuguer nature et culture

De 1994 à 2004, Emmanuel Lopez est directeur du Parc national de Port-Cros. Il instaure un dialogue nouveau avec la commune d’Hyères et étend le rayonnement du parc national sur toutes les rives de la Méditerranée. Il renforce la protection du patrimoine naturel et l’activité scientifique du Conservatoire botanique de Porquerolles. Ces dix années de direction sont caractérisées par la prise en compte dans les tous aménagements du parc de la dimension esthétique, de la beauté des sites et de l’amour des matériaux nobles. Il fait appel systématiquement à des architectes, paysagistes et artistes, considérant que rien n’est anodin et que l’attention accordée au détail est déterminante pour la qualité de l’ensemble. Il lance également une politique audacieuse de baux emphytéotiques à long terme avec les locataires des forts des Iles de Port-Cros et de Porquerolles pour leur préservation et leur entretien.

Emmanuel Lopez exerce à cette époque une influence importante au sein de la collectivité des parcs nationaux. Président du collège des directeurs de 2001 à 2004, il milite beaucoup pour une plus grande concertation avec les élus locaux des parcs nationaux. Proche politiquement du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, il apporte une forte contribution au député du Var Jean-Pierre Giran auquel le Premier ministre confie une mission parlementaire devant conduire à la réforme de 2006. Il partage avec Jean-Pierre Giran l’idée très gaullienne que les parcs nationaux participent de la grandeur et de la fierté de la France et que cette politique publique de l’Etat doit retrouver une dynamique perdue depuis la fin des années 1980.

Très attentif à la prise en compte de la combinaison des composantes naturelles, culturelles et paysagères dans les projets et la gestion des parcs nationaux, il met en avant la notion de « caractère  » déjà présente dans la loi de 1960 et milite pour son renforcement dans le projet de loi en cours. Il affirme que les textes de la protection de la nature doivent s’appuyer sur « des données scientifiques, quantifiables et mesurables et par là objectives[ in éditorial du n°15 de la revue « Espaces Naturels  » juillet 2006] » mais également prendre en compte « d’autres menaces qui ne sont pas toujours dites : elles portent sur la poésie, la beauté, l’esprit des lieux [in éditorial du n°15 de la revue « Espaces Naturels  » juillet 2006]  ». Le gestionnaire d’espace protégé, doit ainsi selon lui, « prendre en compte cette subjectivité partagée et préserver autant l’esprit des choses que la lettre des textes et pas pour quelques esthètes contemplatifs mais pour le plus grand nombre [in éditorial du n°15 de la revue « Espaces Naturels  » juillet 2006]  ».

Soucieux de partager ses convictions avec l’ensemble des acteurs des espaces naturels, Emmanuel Lopez a également été de 1997 à 2004, le premier président de l’Atelier technique des espaces naturels (GIP ATEN), première structure de concertation des espaces naturels protégés. Il y a promu l’échange des cultures professionnelles et lancé la revue Espaces Naturels.

Un nouveau regard sur le littoral

Revenu au Conservatoire du littoral en 2004 comme directeur, il s’implique pleinement dans la définition de la doctrine du Conservatoire concernant le devenir des bà¢timents présents sur les sites lors de l’acquisition. Il prône la réhabilitation de ceux qui présentent un intérêt architectural (forts Vauban, tours Génoises ...), leur trouve une nouvelle vocation d’utilisation (maison de site, lieux d’exposition, logement de garde...) et lance des programmes de « déconstruction  » de bà¢tis en ruine qui constituent des verrues dans le paysage littoral. L’anse de Paulilles dans les Pyrénées Orientales exprime la synthèse de cet esprit, jouant autant avec la déconstruction qu’avec la reconstruction du site ouvert à tous les publics.

Dans le même esprit, il anime l’équipe chargée de la mise en place d’une nouvelle signalétique d’information sur les sites du Conservatoire en privilégiant des matériaux modernes, peu altérables et s’intégrant dans les différents milieux naturels littoraux (dunes, landes, zones humides...). Son intérêt pour l’écrit et le débat se matérialise par une profusion de publications de qualité, la tenue de colloques et ateliers et l’organisation de nombreuses expositions qui perpétuent la tradition de l’usage de la photographie par le Conservatoire au service du littoral.

Il réussit à stabiliser le budget du Conservatoire et, à l’occasion des trente ans de l’établissement public, le Président Chirac annonce l’affectation du Droit de Francisation et de Navigation des Bateaux (DAFN) qui garantit les ressources sur le moyen terme et permet ainsi de développer des programmes d’investissements en acquisition et en gestion de sites.

Enrichi par son expérience à la direction du Parc national de Port Cros, à la tête du Conservatoire, il fait approuver par le conseil d’administration du Conservatoire et le ministère de l’Environnement une « stratégie en mer  » de l’établissement, en partenariat avec l’Agence des aires marines protégées, qui complète sur le domaine public maritime l’action terrestre de sauvegarde des sites littoraux. Son objectif est de changer le regard sur le littoral trop longtemps considéré comme la fin de la terre, comme un « finistère  », alors qu’il est le commencement de la mer. Or, soulignait-il, « finistère  » est une mauvaise traduction du breton penn ar bred qui signifie « tête de la terre  » : une invitation à passer d’une vision continentale du littoral à une vision maritime de ce bien tant convoité.

Selon les mots de François Carrassan, longtemps vice-président du conseil d’administration du parc national de Port-Cros, « Emmanuel Lopez nous aura appris, devant une nature réinventée, un paysage restauré, des rives sauvegardées, à conjuguer nature et culture, à voir et à ressentir l’espace, à mesurer que l’espace n’est pas une marchandise. Autant de signes en rupture avec la médiocrité qui banalise le monde et qu’il n’a cessé de combattre  ».

Lectures

Le Monde du 09 07 05 : le « petit miracle politique « Emmanuel Lopez  » ; Le nouvel Economiste n°1316 du 22 au 28 septembre 2005 Emmanuel Lopez, le rivage des mythes ; la rubrique « disparitions » du Monde du samedi 19 septembre 2009 ;* l’éditorial du n°15 de la revue Espaces Naturels juillet 2006 « l’esprit des lieux ou le partage des valeurs  » ; la préface de Rochefort et l’estuaire de la Charente, éditions Equinoxe, mai 2008 ; et De nouveaux rivages, Conservatoire du littoral, la documentation Française 2007.


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