Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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JULIEN Michel-Hervé (1927-1966)

Il naît le 10 janvier 1927 dans le pays bigouden, près de Quimper. Son père, Eugène Julien, natif de Pont-l’Abbé, est violoniste et professeur de musique au lycée de Quimper. Sa mère, professeur de Français, est aussi pianiste. La famille possède une petite maison dans l’île d’Ouessant, lieu propice à l’observation et à l’écoute des oiseaux. Il est très tôt en relation avec le Muséum national d’histoire naturelle, notamment pour obtenir l’autorisation de baguer les oiseaux. En 1946, il adhère à la société ornithologique de France. Dès 1948, ses comptes rendus d’observations sont publiés dans l’Oiseau et dans la Revue française d’ornithologie.

De la musique … aux chants d’oiseaux et à l’ornithologie

En octobre 1952, il entre au lycée de Quimper comme adjoint d’enseignement de musique. Déjà, il organise des sorties avec ses élèves pour écouter les chants d’oiseaux dans le cadre de son enseignement musical ! Il y rencontre un jeune adjoint d’enseignement de sciences naturelles, Albert Lucas, avec qui il va développer les sorties scolaires de terrain à la découverte du milieu naturel. C’est à cette époque que Marcel Gautier, inspecteur d’académie fonde le Cercle d’études géographiques, initiative à laquelle Michel-Hervé-Julien va s’associer. Avec Albert Lucas, il va convaincre Marcel Gautier de créer un Cercle de naturalistes. Cercle géographique et Cercle naturaliste fusionneront en prenant la forme d’une association déclarée en novembre 1953. Ce cercle va développer les sorties de terrain, et surtout lancer une revue de vulgarisation, Penn Ar Bed, la même année. Penn Ar Bed - dont l’animation reposera beaucoup sur Albert Lucas, son ami et complice - deviendra peu à peu une revue de référence au contenu scientifique reconnu. La collaboration étroite entre ces deux hommes est remarquable, entre Michel-Hervé Julien, catholique traditionnel et Albert Lucas laïc militant !

La passion de Michel-Hervé Julien pour l’ornithologie le conduit à collaborer avec le Centre de Recherches sur les Migrations des Mammifères et des Oiseaux (CRMMO), institution liée au Muséum de Paris. Robert-Daniel Etchécopar, chargé par le Muséum de réorganiser ce service lui en confie l’animation technique en 1954, d’abord dans un cadre informel, puis à travers un poste d’assistant. Son épouse, professeur de sciences physiques est nommée en région parisienne, ce qui facilitera son adaptation à une nouvelle vie. Le couple s’installe à St Germain-en-laye. De cette union nait leur fille Anne-Yvonne qui deviendra plus tard une universitaire, spécialiste de Marguerite Yourcenar.

Son installation à Paris ne l’empêchera nullement de rester en liaison étroite avec la SEPNB, qu’il continuera à diriger, avec le concours d’Albert Lucas.

Ses nouvelles fonctions vont l’ouvrir aux aspects internationaux de la protection de la nature, grâce, notamment, à la personnalité du directeur du Muséum, Roger Heim, président de l’UICN.

Sensibilisé par ses voyages en Europe du nord, à l’intérêt de camps ornithologiques d’observations et de bagages d’oiseaux, il réussit à convaincre le Muséum de créer en 1955 « les camps d’Ouessant ». Organisés avec le concours du cercle géographique et naturaliste du Finistère, ces camps réunissent en été des ornithologues éminents de la communauté scientifique, ainsi que des bagueurs amateurs venant de toutes les régions de France. Ces camps, par le brassage qu’ils permettaient, ont largement contribué à l’émergence d’une communauté nationale d’acteurs de la protection de la nature, des plus éminents aux plus modestes.

Ce fut pour Michel-Hervé Julien l’occasion de développer sa pensée et ses convictions. Animé d’une foi militante, d’un attachement empli de poésie pour sa région, la Bretagne, il sait convaincre et entrainer ses interlocuteurs. Altiste, il conserve son intérêt pour la musique, ce qui l’amène à rencontrer Olivier Messiaen, alors intéressé aux chants d’oiseaux (« Réveils des oiseaux » composé en1953). Messiaen participera, notamment, en septembre 1956 au camp organisé par Michel-Hervé Julien à Ouessant.

L’un des créateurs de la SEPNB et des inspirateurs de la politique de protection de la nature en Bretagne


En 1957, alors que le Muséum ouvre une chaire d’écologie et de protection de la nature, il va faire évoluer les Cercles géographique et naturaliste du Finistère. Penn Ar Bed devient la revue de la Société pour l’Étude et la Protection de la nature en Bretagne (numéro 10 de mars 1957), association qui sera officialisée en 1959.Il exprime dans ce numéro ses objectifs militants : faire de Penn Ar Bed une revue de référence pour la protection de la nature, promouvoir la création de réserves naturelles en Bretagne, et susciter l’émergence de sections locales de la SEPNB pour développer son rayonnement et ses ressources.

Dans le numéro 11 de Penn Ar Bed Michel-Hervé Julien posera les fondements d’une politique de protection de la nature en Bretagne, en s’inspirant largement de Roger Heim et de son ouvrage Destruction et protection de la nature (1952). Son article, « la protection de la nature » peut être considéré comme fondateur d’une politique de conservation des richesses naturelles de la Bretagne (il a été republié en mars 2004 dans le numéro 188 de Penn Ar Bed). Il propose aux membres de la SEPNB un programme ambitieux : inventaires des richesses naturelles de la Bretagne, classement en réserves zoologiques, botaniques, ou en sites pittoresques, un meilleur contrôle de la chasse, des actions éducatives auprès des enfants. Il n’oublie pas d’autres menaces comme l’usage du DDT. Il invite enfin les lecteurs de Penn Ar Bed à jouer un rôle d’alerte face aux menaces de tous ordres sur le patrimoine naturel. C’est presque 20 ans avant la loi de 1976 sur la protection de la nature, et 14 ans avant la création du premier ministère de l’environnement que s’engage cette action pionnière.

La SEBNB est donc créée le 7 janvier 1959 avec comme champ d’action privilégié les quatre départements bretons et la Loire-Atlantique. Michel-Hervé Julien en devient le premier secrétaire général. Avec lui, cette fonction en fait le véritable « patron » de l’association. Il anime, avec un charisme reconnu de tous, un conseil d’administration issu des quatre départements bretons, de la Loire-Atlantique et de la Manche. Son charme personnel, sa capacité à convaincre, lui permettront de collecter des fonds auprès de mécènes au profit d’actions de protection, notamment pour des acquisitions foncières, pour la création de réserves. Dès 1957, il avait en effet créé le « Fonds de Protection de la Nature en Bretagne » !

Avec son collègue Albert Lucas, Michel-Hervé Julien va, en effet, se lancer dans des actions concrètes, en particulier dans le Finistère. Ce sera d’abord la création de la réserve naturelle de Goulien située dans le Cap Sizun, après un combat pour détourner le tracé d’une route qui menaçait ce site de falaises littorales à la grande richesse ornithologique. Premières négociations avec la préfecture, interventions à la commission des sites, le modus operandi va se rôder, s’intensifier et bien d‘autres réserves suivront. La protection des espèces mobilise aussi l’association. Grace à son action, la protection réglementaire des phoques gris est obtenue en 1961.

Les zones humides sont alors fortement menacées tant par des infrastructures (comme le barrage d’Arzal, que par les drainages agricoles et c’est en en Brière, dans le bassin de la Vilaine, et en Vendée, que la SEPNB va mener ses interventions. Un autre défi retient Michel-Hervé Julien, l’implantation de la centrale atomique de Brennilis, dont il tentera de minimiser l’impact écologique et paysager.

Ainsi, Michel-Hervé Julien est un peu sur tous les fronts, même si son action en faveur de la protection des oiseaux reste déterminante. C’est une action de lobbying auprès des autorités administratives et des notables, qui utilise la persuasion et le sérieux scientifique. Il participe à des actions nationales comme l’opposition au tracé de l’autoroute du Sud à travers la forêt de Fontainebleau, un combat perdu, mais emblématique. Ce n’est pas encore l’époque des mobilisations citoyennes et le grand public reste en dehors. Cela est peut-être dû au fait que Michel-Hervé Julien reste prisonnier d’un certain élitisme propre aux sociétés savantes et à l’air du temps.

L’ouvrage qui le fait connaître du grand public : « L’homme et la nature »

En 1965, presque simultanément à la sortie par Jean Dorst d’Avant que Nature meurt, Michel-Hervé Julien publie L’homme et la nature, un ouvrage grand public de sensibilisation aux diverses atteintes menaçant l’équilibre de la nature. A travers ce petit livre, il montre sa vision générale des questions environnementales et leurs acuités sur l’ensemble de la planète.

Michel-Hervé Julien avait pu observer les politiques publiques de conservation de la nature en Europe du nord, à travers ses voyages privés, puis professionnels, notamment en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas. Il va collaborer bien avant la création de la DATAR (délégation à l’aménagement du territoire) au rapport de Paul Dufournet (1962) qui, au ministère de la Construction, définit l’aménagement du territoire de la Bretagne, de la Basse-Normandie, et des Pays-de-Loire. Il s’attache, notamment, à la protection du littoral, à la sauvegarde des paysages et au concept naissant de tiers littoral.

En 1966 il apporte sa contribution à l’ouvrage La nature dans votre commune, diffusé par la DATAR dans toutes les communes de France.

Les années 1960 sont celles de l’émergence de l’idée de parc naturel régional. Michel-Hervé Julien participe activement aux réflexions préalables. Il s’était depuis longtemps attaché à une forme moderne de protection des Monts d’Arrée et il est, à ce titre, un des pionniers du parc régional d’Armorique. Il prévoit dans ce but de participer aux journées de Lurs, prévues du 25 septembre au 1er octobre 1966, au cours desquelles doit se discuter le concept de parc naturel régional. Hélas, la maladie qui l’avais touché depuis quelques années ne lui permettra pas de s’y rendre. En effet, atteint d’une leucémie Michel-Hervé Julien s’éteint prématurément le 21 septembre 1966 à l’âge de 39 ans.

Homme courtois, cultivé, diplomate, doué d’un charisme remarquable, il a suscité bien des vocations. Face aux contradicteurs, il savait se maitriser et argumenter. Un homme auquel on ne pouvait rien refuser, selon ceux qui ont travaillé avec lui.

D’autres encore, comme J. Fraval de Coatparquet, président de la Société Morbihannaise d’Ornithologie et d’Histoire Naturelle (SMOHN), souligne « l’œuvre qu’il a réalisée à force de volonté, de foi et d’enthousiasme, d’exceptionnelle ténacité encore, et en ceci il était bien breton » ! La SMOHN et la SEPNB et leurs présidents, s’étaient en effet en longtemps affrontés sur ... la meilleure façon d’agir.

En 1972 le jeune ministère de l’environnement lance des états généraux de l’environnement. Dans cette réunion historique, tenue à Pontivy pour la Bretagne, son ami Albert Lucas, est un des cinq rapporteurs, et sera chargé des espaces naturels. Cette réunion débouchera, notamment, sur la mise en place d’un schéma d’aménagement du littoral breton et des îles (SALBI), et la reconnaissance pour le littoral du tiers sauvage réclamé par Julien en 1964 !

En guise de conclusion laissons à Albert Lucas ces mots : « Mais il avait en plus un secret : celui de croire qu’en toute personne, même parmi les pires ennemis de son action, il y avait un partisan de la nature qui s’ignorait ; et pour cela il prêchait avec une générosité qui emportait l’adhésion ».

Sources :

Penn Ar Bed n°47 Michel-Hervé Julien et son œuvre

Penn Ar Bed n°162 Albert Lucas, une vie pour la nature

Protection de la nature en Bretagne, La SEPNB. Maurice Le Demezet et Bruno Maresca PUR 2003

Racines écologistes, Portrait d’un fondateur. Bruno Maresca.Textuel 2001

L’Homme et le Nature, Michel-Hervé Julien,Hachette 1965

Ailes et Nature (SMOHN) N°7,1966

Entretien avec Max Jonin (5/04/2017). Max Jonin à bien voulu assurer une relecture de cette notice biographique

Entretien avec Jean Yves Monnat (17/04/2017)

Entretien avec René Bozec (11/05/2017)


Par Patrick Singelin
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