1971 - 2021 : Les 50 ans du ministère
de l'environnement

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Chapitre 14


« L’An 01 » de la protection de la nature

S’agissant de ces préoccupations envers la nature, si on ne rappelle pas leurs origines, remontant au moins au XIXe siècle, il convient de remarquer que durant l’entre-deux-guerres, si sur le terrain, en France métropolitaine du moins, la protection de la nature resta rudimentaire, malgré l’intervention de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des sites, et les initiatives prises par la Société nationale d’acclimatation de France [1] dans la création de réserves naturelles (Camargue, Néouvielle, Lauzanier…), le mouvement international en faveur de la protection de la nature qui avait pris naissance avant la Première Guerre mondiale, se réenclencha à l’initiative d’associations et de personnalités françaises fort actives dans ce domaine.

En 1923, la Société nationale d’acclimatation, la Ligue française pour la protection des oiseaux et la Société pour la protection des paysages organisèrent avec le Muséum national d’histoire naturelle, le premier Congrès international pour la protection de la nature sous la présidence du directeur du Muséum, Louis Mangin (1852-1937). Le congrès dont la cheville ouvrière était l’agronome et juriste Raoul de Clermont (1863-1942), l’un des premiers pionniers français de la protection de la nature, fut un grand succès tant par le nombre de participants (300), de pays représentés (17) que par les nombreux échanges et propositions auxquels il a donné lieu, marquant le véritable point de départ de l’internationalisation de ces préoccupations de protection de la nature.

En 1931, la France récidiva en accueillant un second Congrès international au Muséum. Présidé, cette fois, par le professeur Abel Gruvel (1870-1941) mais toujours avec la participation active de Raoul de Clermont, les congressistes inscrivirent plusieurs sujets à leurs discussions qui trouvèrent des réponses bien plus tard. On peut ainsi citer le souhait de voir se mettre en place une organisation internationale permanente de protection de la nature. Celle-ci finira par voir le jour en 1948 à Fontainebleau. Le congrès se préoccupa aussi des impacts du trafic et du commerce des espèces menacées et émit le vœu qu’une convention internationale puisse en réglementer le commerce, ce que réalisera la convention de Washington en 1973.

En 1933, avec la contribution d’une vingtaine de spécialistes, la plupart acteurs de ces deux congrès, la Société française de biogéographie lança une enquête sur la création des parcs nationaux et des réserves dans le monde pour en tirer des enseignements destinés à « éclairer les pouvoirs publics sur les mesures à prendre dans l’avenir » à leur sujet.

Rappeler ces évènements a pour but de montrer la continuité qui s’opère après 1945 entre ceux-ci et l’action qui va de nouveau être engagée par nombre de ces mêmes personnalités pour, la paix revenue, tenter de mettre ces préoccupations à l’agenda gouvernemental et plus généralement dans la sphère publique.

Ainsi, dès 1946, alors que l’on peut imaginer, dans les circonstances du moment, que le gouvernement avait des décisions plus impérieuses à prendre, fut institué par décret signé des ministres de l’Éducation nationale, de l’Intérieur et de l’Agriculture, un Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) chargé de « donner un avis [au Gouvernement] sur les mesures propres à assurer la protection et l’aménagement en parcs nationaux et en réserves des parties du territoire […] qui par leurs conditions de milieux, constituent des formations ou des stations d’un intérêt scientifique ou technique remarquable » [2] .

C’est à la même époque, comme on l’a mentionné, avec ces mêmes personnalités, que l’on trouve la France à la manœuvre pour encourager l’institution de l’UIPN et en accueillir la création.

Par la suite, ces préoccupations environnementales, outre qu’elles sont débattues au Conseil national de la protection de la nature, seront principalement portées par deux petits groupes de fonctionnaires qui, tout en assurant des perméabilités entre eux, agiront principalement, l’un et l’autre au sein de deux administrations dans l’appareil d’État : le premier, chronologiquement parlant, à la direction générale des Eaux et Forêts du ministère de l’Agriculture et le second à la DATAR ; les deux principaux autres acteurs étant, l’un public, le Muséum National d’Histoire Naturelle et l’autre privé, la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN).

L’un des premiers soucis de ces précurseurs, à l’instar de leurs homologues de l’UNESCO ou de l’UIPN, fut de sensibiliser l’opinion publique et les enseignants, de former des propagateurs de ces idées et de persuader les autorités d’agir. A titre d’illustration, il faut citer l’instruction du 23 avril 1953 du directeur général des Eaux et Forêts, François Merveilleux du Vignaux (1902-1982). Il attirait spécialement l’attention des conservateurs des Eaux et Forêts sur l’intérêt d’une « propagande active en faveur de la protection de la nature » et insistait sur l’opportunité pour les ingénieurs chargés de cours dans les écoles normales « d’inclure dans leur programme d’enseignement une leçon spécialement consacrée à développer cette notion de base qu’est le respect dû aux choses de la nature ». Il récidivait le 11 juin de la même année en leur diffusant une leçon-type consacrée à « la protection de la nature, à sa nécessité et à ses avantages ».

L’une des raisons de ce choix tactique était que l’administration des Eaux et Forêts avait bien peu de moyens juridiques et financiers à sa disposition pour lancer et assurer des actions réelles de conservation sur le terrain en dehors des forêts domaniales ; et les richesses naturelles - on dirait aujourd’hui la « biodiversité » - du pays étaient mal connues.

En 1955, dans le but, justement, de sensibiliser le public, le Muséum National d’Histoire Naturelle organisa une exposition intitulée L’Homme contre la nature qui remporta un très grand succès et, avant de devenir itinérante, resta plusieurs années en tête de classement pour le nombre de visiteurs qu’elle attira. Dans la foulée, le Muséum créa une chaire d’écologie générale et de la protection de la nature et, en 1962, toujours à l’initiative de son directeur, Roger Heim, mettra en place un service de conservation de la nature confié à Georges Tendron.

Quant à la SNPN, l’ancienne société zoologique d’acclimatation, vénérable institution à caractère scientifique du XIXe siècle, qui avait eu ses heures de gloire durant la période coloniale, lorsque ses travaux scientifiques étaient orientés vers l’introduction et la domestication d’animaux exotiques, elle allait entreprendre sa seconde mue après la première qu’elle avait amorcée au tournant du XXe siècle, en orientant déjà certaines de ses activités vers la protection de la nature ; activités et actions qu’elle développera après la guerre, jusque dans les années 1930. Elle va se relancer avec l’arrivée à sa présidence en 1952, de Roger de Vilmorin (1905-1980), descendant de la célèbre famille de botanistes et semenciers.

Sous sa férule et celle de son fils, Jean-Baptiste, qui en devient le directeur en 1959, la SNPN rénove ses pratiques et son action. Fort de sa notoriété et de ses appuis, et conscient par l’expérience qu’il avait acquise en parcourant la planète, que le monde était en train de changer, Roger de Vilmorin entreprit de faire de même avec la « vielle dame » qui était alors isolée et n’était plus écoutée des décideurs politiques. Ils lui firent progressivement - car il y avait des résistances internes - modifier son image, et ils la sortirent de son isolement, n’hésitant pas à rechercher le dialogue avec les responsables de l’aménagement du territoire, bêtes noires honnies des protecteurs de la nature. Pour lui faire mettre l’accent sur les activités de protection, ils finirent par obtenir, en 1960, qu’elle modifiât son nom en inversant l’ordre des mots, plaçant « protection » en premier, et « acclimatation » en second.

De même, usant de sa proximité avec André Malraux, qui était alors ministre de la Culture, et sensible à la nature et à sa préservation, Roger de Vilmorin plaida auprès de lui la nécessité, qu’il voyait, de relancer l’idée de protéger de grands espaces de nature en montagne, à l’instar de ce qui s’était déjà fait dans de nombreux pays. Il concourra ainsi à faire adopter la législation sur les parcs nationaux de 1960 et entraîna la SNPN à soutenir le projet de loi et les projets de parcs nationaux, dont celui de Port-Cros.

La société faisait paraître depuis 1931, à destination des spécialistes la revue scientifique La Terre et la Vie, sous-titrée Revue d’Histoire Naturelle. Lors de l’adoption de son nouveau nom en 1960, elle en profita pour changer le sous-titre en Revue d’écologie appliquée à la conservation de la nature, signifiant ainsi son changement d’orientation.

Dans le même état d’esprit, le tandem Vilmorin voulut aussi que la société se tournât vers le grand public pour communiquer, l’informer sur la nature et les enjeux de sa protection. Ils eurent l’idée de publier une revue bimestrielle, Le Courrier de la Nature, ayant aussi pour objet de constituer un lien entre ses membres. Le premier numéro servit d’ailleurs de guide de l’exposition sur la protection de la nature que la SNPN organisa au sein du Salon international de la Nature dans le cadre de la Foire de Paris de 1961. Dès les premiers numéros, pour initier les lecteurs à la science écologique, le professeur Pierre Aguesse, y publia une série d’articles intitulés : « Qu’est-ce que l’écologie ? »

Au cours de cette décennie des années 1950, plus encore dans celle des années 1960, dans cette France des Trente Glorieuses qui voyait s’ouvrir des chantiers d’aménagement un peu partout dans l’Hexagone, faisant naître des contestions en raison des dégâts potentiels ou occasionnés, le mouvement en faveur de la connaissance et de la protection de la nature pris de l’ampleur, se régionalisa et se structura. C’est ainsi que se créèrent les premières associations de protection : la Société pour d’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne (SEPNB) [3] à l’initiative de Michel Hervé Julien, associé à Albert Lucas en 1958, fut l’une des toutes premières. De nombreuses autres sociétés, généralistes ou spécialisées, virent le jour à cette occasion mais elles avaient du mal à communiquer entre elles et à coordonner leurs actions. La SNPN fut la première à lancer un appel à l’union des protecteurs à l’initiative de son nouveau président, François Hüe, en 1967, dans un numéro du Courrier de la nature et elle ouvrit dans la foulée les colonnes de la revue aux autres sociétés. Un an plus tard, dix-huit de ces sociétés se constituaient avec la SNPN en Fédération Nationale des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN), laquelle changea son nom d’origine pour France Nature Environnement en 1990.

Sur le plan de l’enseignement supérieur, c’est plus tard, en 1969, que fut organisé un enseignement de 3e cycle orienté vers les problèmes de protection de la nature au sein du laboratoire de zoologie de la faculté des sciences d’Orléans par le professeur Pierre Aguesse. Cette réalisation fut permise par la loi d‘orientation de l’enseignement supérieur du 7 novembre 1968 qui permettait d’organiser des enseignements interdisciplinaires, indispensables, dans le cas d’espèce, à l’approche des problématiques environnementales.

La même année, le professeur Vincent Labeyrie (1924-2008) fondait le Centre d’études supérieures en aménagement (CESA) à Tours, le premier établissement d’enseignement supérieur destiné à former des spécialistes de l’aménagement du territoire.

Dans le même temps, un groupe de quatre-vingt-dix scientifiques, issus de plusieurs disciplines, créent cette même année 1969, la Société Française d’Écologie (SFE) dans le but d’encourager et de développer des études écologistes et de favoriser la constitution d’équipes pluridisciplinaires. Cette initiative date l’institutionnalisation tardive en France de la science écologique.

Le ministère de l’Agriculture, de son côté, ouvre en 1970, une section de Brevet de technicien supérieur « Protection de la nature » au lycée agricole de Neuvic d’Ussel en Corrèze dans le but de former des agents de terrain pouvant mettre leur capacité d’agir en cette matière auprès de divers établissements et organismes (parcs naturels, collectivités, agences, bureaux d’étude, associations, etc.).